Par Clémence TESSIER.
Vous n’êtes pas seuls. Selon un sondage, 89 % de la population mondiale souhaite plus d’action contre le changement climatique de la part de leur gouvernement. Pourtant, en parcourant les médias et les réseaux sociaux, on pourrait croire qu’ils sont beaucoup moins nombreux.
Selon le sondage Global Climate Change 2024, également connue sous le nom de Peoples’ Climate Vote et menée par le Programme des Nations unies pour le développement, 82 % des Canadiennes et Canadiens estimaient que leur gouvernement devrait en faire davantage pour lutter contre le réchauffement climatique. De plus, 87 % pensent que les autres citoyens de leur pays devraient s’engager eux aussi.
Aussi, près de la moitié des Canadiens (49 %) se disaient prêts à donner 1 % de leurs revenus pour soutenir des initiatives climatiques.
Pour Sabaa Khan, membre de la Commission mondiale du droit de l’environnement et directrice de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique, ces chiffres ne sont pas surprenants. « Je sais que la plupart des gens veulent soutenir l’action climatique », affirme-t-elle.
La désinformation, ennemie de l’environnement
Si tant de personnes ont l’impression qu’une majorité de personnes reste sceptique face aux actions climatiques, c’est parce que la désinformation est un obstacle central à l’action climatique, avance Sabaa Khan.
« Le débat sur les changements climatiques ne porte pas seulement sur l’incertitude scientifique. Il y a plus de 30 ans de désinformation systémique documentée, soutenue par des électorats puissants, comme l’industrie pétrolière. Être au courant de cet aspect aide vraiment à expliquer pourquoi tant de personnes ont l’impression que la plupart des gens sont sceptiques », explique Sabaa Khan.
Le rôle des médias et des réseaux sociaux est central dans cette méconnaissance de l’opinion générale. « Aujourd’hui, les réseaux sociaux et vidéos sont devenus la principale source d’information. Par exemple, aux États-Unis, plus de la moitié des gens s’informent via Facebook, YouTube et autres, dépassant même la télévision traditionnelle », note-t-elle.
Cette dynamique est amplifiée par ce que Sabaa Khan appelle le faux équilibre médiatique. « Malgré un consensus scientifique écrasant sur l’origine des changements climatiques, plusieurs médias continuent de présenter le sujet comme débattable, en accordant un poids égal à une petite minorité de sceptiques. Cela crée l’impression que le débat est 50-50, alors qu’il ne l’est pas, et rend cette minorité vocale beaucoup plus visible qu’elle ne l’est réellement ».
L’économiste à l’Institut Climatique du Canada, Dave Sawyer, est du même avis. La désinformation agit comme un fil rouge entre ses constats et ceux de Sabaa Khan.
Pour l’économiste, la tarification du carbone en est un bon exemple : « À l’extérieur du Québec, on répète depuis presque 20 ans que la tarification carbone est une “taxe qui tue les emplois”. Ce message-là a collé, explique-t-il. Pour une partie de l’électorat, tout ce qui touche au carbone ou à l’énergie propre est automatiquement perçu comme mauvais. »
Cette perception masque pourtant un fait important : la plupart des ménages y gagnent financièrement. « La perception n’est pas la réalité, insiste Dave Sawyer. Beaucoup de gens recevaient plus en remises qu’ils ne payaient, mais la désinformation a complètement brouillé ce message. »
Sabaa Khan est d’avis que comprendre ces mécanismes est essentiel pour saisir pourquoi tant de Canadiens et Canadiennes se sentent isolés dans leur soutien au climat, malgré une volonté collective très forte : « C’est un aspect clé pour expliquer la dynamique de la majorité silencieuse et pourquoi des initiatives, comme le Projet 89, sont si importantes ».
C’est quoi, le Projet 89 pour cent?
Pour pallier le décalage entre la perception générale du manque d’actions climatiques et le soutien réel et afin de mettre en lumière les vraies données, le collectif international de journalistes Covering Climate Now a créé le Projet 89 pour cent. Lancée en avril 2025 pendant la Semaine de la Terre, cette initiative veut faire entendre la voix de cette « majorité silencieuse » pour le climat.
Parmi les partenaires clés du projet figurent The Guardian et l’Agence France-Presse. Au Canada, plusieurs médias canadiens sont membres de Covering Climate Now, dont L’Aurore boréale et Francopresse pour la francophonie minoritaire.
Des politiques climatiques parfois mal comprises
Dave Sawyer rappelle que la tarification industrielle du carbone ou le système québécois de plafonnement et d’échange sont des mécanismes complexes, ce qui ouvre encore davantage la porte à la confusion.
Selon l’économiste, les politiques publiques mises en place doivent combiner des mesures abordables pour les ménages – comme les véhicules électriques, les thermopompes ou les programmes d’efficacité énergétique – et des actions ciblées sur les grands émetteurs, notamment l’industrie pétrolière et gazière, avec des règlementations sur le méthane et la tarification industrielle du carbone.
« Les politiques doivent envoyer des signaux clairs à toute l’économie », dit-il.
Ce que veulent vraiment les Canadiens, constate Sabaa Khan, est avant tout des actions concrètes qui protègent l’environnement tout en étant accessibles et efficaces au quotidien.
Les préoccupations principales restent l’abordabilité, les impacts actuels des changements climatiques. Par exemple, les feux de forêt, la chaleur extrême, la qualité de l’air et le bienêtre des générations futures.
C’est d’ailleurs ce qu’incarnent des jeunes militantes et militants comme Sophia Mathur. La jeune Sudburoise dans le Nord de l’Ontario est l’instigatrice de la première grève climatique en Amérique du Nord. Elle fait aussi partie d’une poursuite en justice contre le gouvernement ontarien pour l’affaiblissement de ses engagements climatiques. « Nous voulons que nos voix soient entendues et que des actions concrètes soient prises maintenant, pas dans dix ans », énonce-t-elle.



