Laurent Desjardins | La Liberté - Actualités
Laurent Desjardins (au centre) en 1968, aux côtés de Pierre-Elliott Trudeau (à droite), alors candidat à la chefferie du Parti libéral du Canada.(photo : Gracieuseté Bernard Bocquel)

L’ancien homme politique et sportif de Saint-Boniface, Laurent Desjardins, est décédé le 8 février 2012. Son passage a changé la face du Manitoba de multiples façons.

 

« À long terme, il sera impossible de faire l’histoire du Manitoba français, ou même du Manitoba, sans parler de Laurent Desjardins », estime l’auteur de Laurent Desjardins, un sportif en politique paru en 2008, Bernard Bocquel.

En effet, l’homme de Saint-Boniface, né le 15 mars 1923 et décédé le 8 février 2012, a marqué la vie politique, linguistique, culturelle ou encore sportive du Manitoba. Il a commencé sa carrière politique au niveau municipal en 1951, puis au niveau provincial de 1959 à 1988.

L’homme politique

Pour Bernard Bocquel, « ce qui a assuré la popularité de Laurent Desjardins à Saint-Boniface, c’est qu’il était le candidat parfait. Il était fils d’un entrepreneur de pompes funèbres donc tout le monde le connaissait, il était une gloire en baseball et il gérait le club école de hockey des Canadiens de Montréal à Saint-Boniface. Il s’est fait courtiser par tous les partis, mais il était de penchant libéral comme la majorité des Canadiens-Français ».

D’abord député libéral, Laurent Desjardins se rallie toutefois au Nouveau Parti démocratique (NPD) d’Ed Schreyer en 1969 pour lui assurer la majorité, d’abord comme libéral-socialiste, puis officiellement en 1971. Ce retournement politique lui vaut la seule élection difficile de sa carrière, en 1973, Saint-Boniface étant resté de tradition libérale.

« En 1973, les Libéraux de Saint-Boniface lui en veulent et il perd l’élection d’un vote contre le Libéral Paul Marion, raconte Bernard Bocquel. Mais les élections sont annulées pour irrégularités et il regagne ensuite, en 1974.

« Laurent Desjardins a eu un bon instinct politique, estime-t-il toutefois. Il voyait que le chef que les Libéraux s’étaient donné, Bobby Bend, n’était pas un homme ouvert au français. Or il a toujours dit qu’un parti, c’était juste un moyen, pas une fin. Il a donc changé de parti car la question francophone était importante pour lui ».

Le francophone

C’est en effet en grande partie grâce à Laurent Desjardins que l’éducation en français, l’un de ses chevaux de bataille, est aujourd’hui aussi développée au Manitoba.

« C’est grâce à lui que la loi 113 a été adoptée en 1970, souligne le politologue Raymond Hébert. Elle rétablissait pleinement le droit d’avoir des écoles françaises au Manitoba. Le français redevenait une langue d’enseignement à part entière. C’était sa condition pour appuyer le gouvernement Schreyer. »

Il ajoute avoir trouvé « une lettre de Desjardins dans les archives de l’Université de Saint-Boniface (USB), datant du début des années 1970, qui demandait à l’établissement de soumettre une demande d’Institut pédagogique pour former des professeurs en français. L’Institut pédagogique, aujourd’hui Faculté d’éducation, a ouvert en 1974 ».

Laurent Desjardins a aussi créé le Bureau de l’éducation française (BEF), en 1974. « Grâce à un lobby qui le poussait dans le dos, il ne s’est pas contenté de la loi 113. Il a mis en place les outils pour que l’éducation en français au Manitoba soit réelle et qu’elle puisse durer », se réjouit Raymond Hébert.

Le député a aussi laissé sa marque dans la communauté franco-manitobaine en créant le Centre culturel franco-manitobain en 1970. « Le Manitoba recevait de l’argent du gouvernement fédéral dans le cadre de son centenaire, explique Bernard Bocquel. Laurent Desjardins a agi pour qu’une partie de cet argent aille aux francophones, et comme un projet de centre culturel était dans l’air, il s’est dit que c’était l’occasion. »

Par ailleurs, Laurent Desjardins a fait progresser le bilinguisme au niveau national. « Ed Schreyer lui avait créé sur mesure un poste de secrétaire des relations fédérales-provinciales donc il a commencé à faire des contacts, raconte l’écrivain. À l’époque, le Manitoba était la seule province ouverte aux idées de bilinguisme de Pierre-Elliott Trudeau, avant même le Nouveau-Brunswick. »

Laurent Desjardins a aussi laissé sa marque en créant le système d’assurance publique Autopac, un ministère des Sports à la Province, ou encore en mettant de l’ordre dans la Corporation des loteries du Manitoba, qui rapporte aujourd’hui à la Province des centaines de millions $ de revenus.

L’homme des coulisses

Mais qui était cet acteur central des changements majeurs du Manitoba dans les années 1970-1980? « Le côté moral de Laurent Desjardins m’a toujours frappé, confie Bernard Bocquel, qui l’a rencontré en personne pour écrire son livre. Il avait une exigence naturelle d’honnêteté. Il fallait toujours qu’il soit pleinement lui-même, fidèle à ses idées, et il avait un instinct politique et un sens de la répartie très développés. Un homme aussi intègre que lui en politique, ça ne se voit presque plus aujourd’hui. »

Par ailleurs, tel un sportif, il avait une soif des défis. « Laurent Desjardins n’était jamais plus content que quand il avait un défi à relever, assure Bernard Bocquel. C’est là qu’il se sentait le plus en vie et il a toujours été à la hauteur du destin. »

Raymond Hébert déplore cependant que « Laurent Desjardins restait prudent en politique et il aurait pu faire davantage pour les services en français en dehors de l’éducation. Il a été chanceux d’être bien entouré par des gens qui l’ont poussé ».

Élu en 1981, le député provincial néo-démocrate de Radisson, Gérard Lécuyer, a côtoyé Laurent Desjardins au quotidien. « J’ai travaillé de près avec lui à la Chambre parce que j’étais président du caucus en 1981 et 1982, mais aussi avant mon élection car j’étais impliqué dans le NPD à Saint-Boniface et au BEF, se souvient-il.

« On jasait souvent, poursuit-il, surtout sur les dossiers des services en français car il était au cabinet et pas moi. Mais il était assez secret et il gardait ses dossiers très proches de sa veste. Il était en général jovial et aimait faire des blagues, mais quand ça touchait à ses dossiers, il fallait faire attention et ne pas discuter plus que nécessaire. »

Malgré une crise sur la question de l’avortement dans les années 1980, Laurent Desjardins étant pro-vie alors que le reste du NPD est pro-choix, ce sont finalement des raisons de santé qui poussent le député provincial de Saint-Boniface à quitter la politique en 1988. Il est en surpoids et son cœur est faible. Il reste toutefois actif dans le domaine de la santé, siégeant sur de nombreux conseils d’administration.

« Si Laurent Desjardins n’avait pas été là, Ed Schreyer n’aurait pas eu la majorité absolue, conclut Raymond Hébert. L’éducation en français aurait donc été retardée de plusieurs années, voire indéfiniment. C’est son plus grand legs à la communauté franco-manitobaine qu’il a si longtemps servie. »

Camille SÉGUY | journaliste | [email protected]