Le Sénat du Canada est en crise depuis que plusieurs sénateurs, notamment le Conservateur Mike Duffy, sont accusés d’avoir utilisé l’argent public à des fins personnelles.

 

Maria Chaput et Don Plett. La Liberté (Manitoba)
Les sénateurs Maria Chaput et Don Plett se sont exprimés sur la situation au Sénat au Winnipeg Free Press News Café.

Les rebondissements s’enchaînent les uns aux autres dans ce qui porte dorénavant le nom de crise du Sénat.

Au cœur de cette crise, on retrouve le remboursement en février dernier de quelque 90 000 $ d’allocations de logement par le sénateur Mike Duffy, au chef de cabinet du premier ministre Stephen Harper, Nigel Wright, qui a depuis démissionné, le 19 mai dernier. Mike Duffy n’avait pas droit à un tel don qui a été découvert à la mi-mai dernier.

De plus, le sénateur libéral Marc Harb se serait fait rembourser 40 000 $ de frais de subsistance, et le sénateur conservateur Patrick Brazeau, 50 000 $, alors qu’ils n’y avaient peut-être pas droit. Une enquête sur les dépenses des sénateurs est en cours.

Malaise

Au Sénat, l’ambiance actuelle n’est donc pas propice au travail. « C’est difficile en ce moment de continuer à travailler, confie la sénatrice libérale manitobaine, Maria Chaput. Ça a brisé l’atmosphère de relative collaboration qu’il y avait. On est maintenant sur nos gardes, d’autant plus que les sénateurs accusés continuent de siéger au sénat même s’ils ont démissionné des comités.
« En outre, on reçoit des courriels pas gentils de Canadiens qui remettent en question l’importance du Sénat à cause de cette situation, ajoute-t-elle. C’est triste. »

Le sénateur conservateur, Don Plett, ne s’inquiète toutefois pas trop de l’avenir de la Chambre haute du Canada. « Je ne crois pas que le Sénat soit en danger, a-t-il assuré lors d’une entrevue au Winnipeg Free Press News Café. On est 105 sénateurs et seulement trois sont accusés d’avoir fait des erreurs. Il y a aura toujours des abuseurs du système, c’est dans la nature humaine. Ça ne remet pas en cause le Sénat en entier. »

Toutefois, l’Opposition officielle néo-démocrate a profité de l’occasion pour relancer le débat sur l’abolition du Sénat en lançant la pétition Remballons le tapis rouge. « Le Sénat est un organe complè­tement dépassé », a affirmé le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair lors d’une entrevue télévisée.

Par ailleurs, le bras de fer est lancé entre sénateurs libéraux et conservateurs sur la façon de gérer la situation, même si tous s’accordent à dire qu’une enquête doit avoir lieu et la vérité, être découverte.

« Les Libéraux veulent que l’enquête soit publique alors que les Conservateurs veulent en finir vite et que ce soit oublié, rapporte Maria Chaput dans une entrevue accordée à La Liberté. Notre caucus libéral a demandé que le dossier de Mike Duffy soit directement référé à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour enquête, mais les Conservateurs ont refusé. Ils veulent d’abord qu’un comité du Sénat fasse son enquête pour déterminer s’il y a eu fraude ou non, et si oui, le dossier irait à la GRC.

« C’est en effet important de respecter la présomption d’inno­cence de toute personne avant preuve de sa culpabilité, assure Maria Chaput. Mais dans le cadre du sénateur Duffy, on a estimé qu’il y avait déjà trop de preuves accumulées! »

Rôle du premier ministre

Stephen Harper a pour sa part attendu le 21 mai avant de prendre la parole devant son caucus lors d’une réunion à laquelle les médias étaient invités. Il a confirmé qu’il était « fâché de voir la tournure des évènements de la dernière semaine », mais n’a pas voulu répondre davantage aux questions des journalistes.

Ce n’est que le lendemain, le 22 mai, lors d’un déplacement au Pérou qu’il a finalement soutenu aux journalistes qu’il avait « entendu les faits dans les reportages des médias. Jusqu’à ce moment, je présumais que le sénateur Duffy avait remboursé les contribuables avec ses ressources personnelles.

« On ne m’a pas demandé mon appui pour ce don de 90 000 $ et si on me l’avait demandé, j’aurais été clairement contre, a-t-il assuré lors de cette entrevue en Amérique du Sud. Je m’attends donc à ce que Mike Duffy rembourse les contribuables avec son propre argent. Évidemment, je suis bien désolé, frustré, fâché. J’ai toute la gamme d’émotions. »

Maria Chaput a pour sa part du mal à le croire. « Quand on parle d’un poste comme celui de Nigel Wright, il y a 99,9 % de chances que le premier ministre soit au courant de tout, estime-t-elle. Surtout quand c’est un premier ministre de nature plutôt contrôlante comme Stephen Harper. »

« Stephen Harper doit s’engager à mettre tous les documents sur la table et donner le vrai récit des évènements », a soutenu également Thomas Mulcair dans les médias télévisés.

Le NPD a entre autres demandé à Élections Canada de faire enquête sur les dépenses du sénateur Mike Duffy, et à la GRC de faire enquête sur l’entente entre Nigel Wright et le sénateur Duffy. En juillet dernier, la GRC avait aussi entamé une enquête portant sur les réclamations de dépenses des sénateurs.

Plusieurs questions demeurent dans ce dossier, notamment pourquoi le sénateur Duffy n’a pas déclaré ce don de 90 172 $ de Nigel Wright. Les Sénateurs sont tenus de rapporter tout cadeau supérieur à 500 $ dans les 30 jours suivant la réception. Si cet oubli s’avère intentionnel, la preuve de fraude serait faite.

 

Par Pascale CASTONGUAY (APF) et Camille HARPER-SÉGUY (LA LIBERTÉ)