La Liberté ÉDITO

Par Bernard Bocquel

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La Liberté du 09 mars 2016

Le rituel annuel a été à nouveau respecté, malgré les coffres vides. Pour la 27e fois le 6 mars, à l’avant-veille de la Journée internationale des femmes, Réseau action femmes a remis ses Prix Réseau à des personnes qui ont su se démarquer par la qualité de leur engagement.

L’occasion était aussi trop belle pour ne pas souligner le travail de l’ex-sénatrice Maria Chaput, dont le nom est d’ailleurs indissociable du rôle des femmes laïques au sein du Manitoba français. Un coup d’oeil sur la petite histoire permet de constater que la native de Sainte-Annedes-Chênes a reçu un Prix Réseau dès 1989. L’honneur du tout premier Prix Réseau, décerné en 1988, revenant à Jacqueline Blay. L’actuelle présidente de la Société franco-manitobaine, qui présidait alors la Société historique de Saint-Boniface, venait de publier L’article 23, où il était notamment question de la crise linguistique de 1983-1984.

C’est justement autour de 1983 que le petit groupe de femmes, qui voulait donner une raison d’être à long terme à Réseau, se lança dans la revendication des droits de la femme. Il s’agissait de donner une véritable dimension sociale et politique à ce Réseau mis sur pied en 1980 par quelques femmes d’affaires qui avaient estimé intolérable de se voir refuser l’accès au Club des hommes d’affaires de Saint-Boniface. Pour s’efforcer d’accélérer l’évolution des mentalités, un autre groupe de femmes, dont certaines étaient déjà impliquées avec Réseau, a fondé en 1982 Pluri-elles dans le but d’éduquer les femmes de manière praticopratique sur leur droit de vivre en sécurité physique, financière, etc.  L’époque était décidément au féminisme.

Réseau, qui a donné naissance à l’Entre-temps des Franco-Manitobaines en 1993, un refuge pour femmes victimes de violences conjugales, franchit en juin 2001 un pas de plus vers l’action politique en devenant Réseau action femmes. La possibilité d’agir restant toutefois étroitement fonction des moyens financiers, il faut mettre au compte de la volonté d’un noyau dur de militantes le fait que l’organisation existe encore. En effet, le premier organisme communautaire pour les femmes n’a obtenu aucune subvention de fonctionnement depuis l’année financière 2012-2013, conséquence du régime conservateur de Stephen Harper, qui n’a jamais vu d’un bon oeil les revendications en faveur des femmes.

Une part du militantisme des membres de Réseau action femmes trouve forcément sa source dans leur vécu, personnel, familial ou professionnel. Au vrai, Réseau action femmes survit grâce à la persévérance de quelques convaincues bénévoles qui gardent l’espoir d’un renouveau sous les libéraux de Justin Trudeau. Parmi elles figurent en bonne place la présidente Blandine Tona et la vice-présidente Gisèle Saurette-Roch.

Si au coeur des luttes se trouve le besoin d’obtenir l’équité entre les femmes et les hommes, il est clair que l’obstacle central est d’ordre économique. Violence, harcèlement, autant de fléaux le plus souvent liés aux conditions sociales, en un mot à la pauvreté. Les pauvres ont faim, et surtout les pauvres peinent à s’éduquer, et donc à briser leur enfermement.

Réseau action femmes a du mal à recevoir des subventions au prétexte que d’autres organisations franco-manitobaines comblent déjà les besoins. Sans doute que Réseau gagnerait une nouvelle raison d’être en prenant comme champ d’action la société manitobaine dans son ensemble, en faisant valoir la nécessité de développer des liens entre les communautés linguistiques et culturelles. Autrement dit en pratiquant l’ouverture à l’autre, aux autres, à ceux et celles réputés étrangers, comme sont hélas si souvent perçus les Autochtones.

La Commission de vérité et réconciliation du Canada a mis au défi les Canadiens en général de s’ouvrir aux réalités des Autochtones. Les militantes féministes francophones, généralement au moins bilingues, sont très bien placées pour répondre à l’appel de la Commission. Ne sont-elles pas d’emblée solidaires des femmes autochtones, encore trop souvent vulnérables?

L’été dernier une Crie originaire de l’Alberta a fait beaucoup parler d’elle en devenant la première canadienne à porter le titre convoité de Madame Univers. L’actrice et mannequin Ashley Callingbull-Burnham, qui a connu l’extrême pauvreté et l’abus sexuel, a remporté la couronne en sachant s’exprimer avec conviction sur le thème du concours tenu en Biélorussie : la violence familiale et le sort des enfants. Dans la foulée, portée par un besoin de vérité et de solidarité, Madame Univers a profité de sa notoriété pour inciter les Autochtones à aller voter contre Stephen Harper.

Cette femme, dotée d’une force de caractère peu commune, mériterait sûrement, au nom de l’ouverture des coeurs, un Prix Réseau d’Honneur.