Le Misanthrope de Molière est un des incontournables du théâtre français. Pour mettre en valeur sa pérennité, le metteur en scène Clément Hervieu-Léger, de la Comédie-Française, a choisi un décor et des costumes contemporains. Un choix dont pourra juger le public winnipégois, le 24 janvier prochain, lorsque la chaîne de Cineplex projettera la pièce dans ses salles de cinéma. (1)
par Daniel BAHUAUD
Véritable institution, la Comédie-Française a été fondée en 1680, par ordonnance royale de Louis XIV. Clément Hervieu-Léger sait fort bien qu’en présentant Le Misanthrope, il devait relever le défi de rendre pertinent ce classique du théâtre français :
« La Comédie-Française est souvent appelée La Maison de Molière, tant la troupe est indissociablement liée à son répertoire. Le Misanthrope est le chef-d’œuvre de Molière. C’est une des pièces françaises les plus montées. On la joue littéralement depuis des siècles. J’ai voulu tirer profit du fait que la pièce est très connue. Sachant que Molière et Le Misanthrope n’ont absolument rien à prouver, je me suis permis une autre lecture, un regard neuf. Nous sommes donc sortis de l’imagerie du XVIIe siècle. Et des costumes d’époque, qui ne sont pas toujours faciles à porter. Je voulais que les acteurs puissent bouger librement. D’où la tenue contemporaine. »
Clément Hervieu-Léger est comédien à « La Maison de Molière » depuis 12 ans, et metteur en scène depuis 2010. Il a également été l’assistant de Patrice Chereau, célèbre metteur en scène du théâtre et de l’opéra, et réalisateur du film La Reine Margot. Fort de cette expérience, il a opté pour un Misanthrope contemporain.
« Molière reste très actuel. Le Misanthrope a beau poser un regard sociologique sur l’aristocratie, les observations sur le comportement humain peuvent s’appliquer à toute classe sociale aisée. Tout groupe constitué dans un entre-soi peut subir la critique que Molière fait de l’aristocratie, qu’il s’agisse de la noblesse à Versailles ou de la bourgeoisie parisienne. Chaque classe sociale a ses codes de réputations qui se font et qui se défont. C’est l’idée d’un groupe constitué qui m’intéresse – d’un groupe relativement fermé qui se trouve à proximité du pouvoir. »
Le Misanthrope, c’est aussi et avant tout Alceste, le personnage principal. « Alceste est fascinant. Il est un aristocrate, mais il rejette les codes de la noblesse. Il rejette les comportements requis, la duplicité, et les jeux de pouvoir qui sont de mise dans ce vase clos qu’est sa classe sociale.
« Jusqu’au jour, bien sûr, où il tombe amoureux de Célimène. C’est alors qu’Alceste doit s’examiner sur le bien-fondé de ses valeurs. Doit-il, par amour pour Célimène, s’accommoder avec ses principes? Ou doit-il fuir? »
Clément Hervieu-Léger.
Photo : Stéphane LavouéLe Misanthrope a comme sous-titre L’Atrabilaire amoureux, qualificatif qui a inspiré Clément Hervieu-Léger è présenter un Alceste très particulier. « Un atrabilaire, est un individu disposé à la critique et à la méfiance, mais aussi à la mélancolie. Alceste me rappelle le célèbre pianiste canadien Glenn Gould. Une figure parlante, puisqu’à la hauteur de son succès, Glenn Gould s’est retiré du public. Et dès ce moment, la physionomie et le physique même du pianiste se sont transformés! Mon Alceste, campé par Loïc Corbery, incarne ces traits Gouldiens. »
Des traits qu’on pourra apprécier au grand écran. « Don Kent est un grand réalisateur du double exercice de tourner une pièce jouée en direct pour les salles de cinéma, rappelle Clément Hervieu-Léger. Ma direction est plutôt naturaliste. On peut même la qualifier de passablement cinématographique. Pour le choix de plans, Don et moi avons beaucoup discuté. Où la caméra doit-elle poser son regard? Bien sûr, au théâtre, le propre du spectateur est son indépendance. Il peut regarder ce qui se passe dans un coin de la scène, une action qui peut sembler secondaire. Le choix d’un plan particulier peut donc se discuter. Mais Don a essayé de se mettre dans la peau du spectateur. Je crois qu’il a réussi. »
(1) Le Misanthrope sera présenté avec sous-titres anglais le 24 janvier à 19 h au cinéma Cineplex Odeon McGillivray, situé au 2190 boulevard McGillivray à Winnipeg. D’autres productions de la Comédie-Française suivront : Cyrano de Bergerac (14 février), Les Fourberies de Scapin (14 mars) et Le Petit-Maître Corrigé (16 mai). Renseignements : cinemplex.com/Events/Stage