Au Canada, deux langues officielles coexistent, l’anglais et le français. En Belgique, on remarque une bipolarité similaire, entre le monde des francophones (Wallons et Bruxellois) et celui des néerlandophones. Tentons de faire le point sur les similitudes et différences dans cet imbroglio linguistique avec l’aide du professeur de droit constitutionnel Marc Verdussen.

Par Marie BERCKVENS

Au sud de la Belgique, se trouve la Wallonie. Au nord, la Flandre. Entre les deux : la capitale, Bruxelles. Ces trois territoires sont précisément circonscrits et l’usage de la langue aussi. En Wallonie, il n’y a aucune indication routière en néerlandais. Tout est en français. Quand vous circulez en Flandre et devez vous rendre en France, ne ratez pas la sortie vers Rijsel ou Parijs.

À Bruxelles, la seule région bilingue, tout est traduit dans les deux langues. Comme l’explique Marc Verdussen, professeur de droit constitutionnel à l’UCL (Université Catholique de Louvain) : « En Belgique, on est obsédé par cette idée de territorialité linguistique. À part Bruxelles, c’est le règne de l’homogénéité linguistique. Au Canada, ce clivage n’existe pas. Le principe du bilinguisme est largement admis. Il y a des règles qui imposent le bilinguisme ailleurs au Canada, au Manitoba, par exemple. Alors qu’en Belgique, le bilinguisme est confiné à un territoire. Au Canada, les choses sont moins cloisonnées.

« Un autre exemple : l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés permet à des parents de réclamer que leur enfant soit éduqué dans la langue de leur choix, en anglais ou en français à certaines conditions, mais sur n’importe quelle partie du territoire canadien. »

Au Manitoba, des parents ont d’ailleurs obtenu en 1993 de la Cour suprême du Canada l’application de cet article 23. La Cour a affirmé que les parents doivent aussi avoir un contrôle sur les locaux dans lesquels l’éducation est donnée.

Au Canada, plutôt qu’un clivage territorial, la dichotomie est plus idéologique, analyse Marc Verdussen.

« Il existe une opposition entre l’usage de la langue en tant que liberté individuelle et l’emploi de la langue en tant que prérogative collective. On pourrait dire aussi qu’il existe une vision libérale de l’emploi des langues et une vision plus communautaire de l’emploi des langues. Cette dernière est chère aux francophones. Car pour eux, derrière la langue, il y a une culture. Le reste du Canada est plutôt ancré dans une vision plus libérale de l’emploi des langues. »

Dans cette manière d’envisager le rapport aux langues, le risque de tensions linguistiques est-il le même dans le pays de Jacques Brel et dans celui de Leonard Cohen?

« Difficile à dire. Mais il demeure en tout cas très élevé dans ces sociétés qui ont deux langues qui s’opposent. Car toutes les initiatives prises par les tenants d’une langue sont nécessairement considérées comme une agression par les tenants de l’autre langue. Quand on est deux, c’est évidemment plus compliqué. La bipolarisation de la société conduit à davantage de tensions ».

À la bipolarisation belge s’ajoutent les revendications nationalistes. En 2010, aux élections législatives fédérales, le parti flamand N-VA (Nieuw- Vlaamse Alliantie) est devenu le premier parti de Belgique (17,40 % des suffrages), avec en ligne de mire l’indépendance de la Flandre.

Le professeur Verdussen voit la situation ainsi : « Pour les Flamands de Belgique et les Québécois, ce n’est pas seulement une question linguistique. Ces deux groupes revendiquent le droit d’être une nation séparée, ce qui exacerbe encore plus les tensions. Au plat pays, cette parole est portée par la majorité linguistique, tandis qu’au Canada, c’est la minorité linguistique qui revendique d’être une nation séparée, une société distincte comme disent les Québécois. »

Un autre trait que partagent les francophones du Canada et les Flamands, c’est de sentir que leur langue est menacée, estime le professeur. « Le français est menacé au Canada par la force des choses, il est écrasé par l’anglais. Chez nous, le flamand est menacé, alors que c’est la langue la plus parlée en Belgique. Mais elle est menacée à l’échelle du monde. »

Chose certaine, les Wallons et Bruxellois, qui sont plutôt les fédéralistes de la Belgique, restent profondément francophones. Ils pratiquent la langue française chaque jour en l’agrémentant de leurs belgicismes, à la manière des Québécois et de leurs québécismes colorés et imaginatifs.

Comme l’écrit l’Acadienne Antonine Maillet : « Un arbre est plus qu’un arbre : il est tronc, racines, sève, feuilles, fruits, vent dans les branches, nids d’où s’échappent les oiseaux du ciel. C’est la plus belle image que m’inspire la francophonie ».


Les Belges en bref

La Belgique compte 11 358 357 habitants (1). Elle reconnaît trois langues officielles : le néerlandais (60 % de la population le parlent), le français (40 % de la population) et
l’allemand (moins de 1 % de la population). Il s’agit d’estimations, les recensements linguistiques officiels étant interdits.

(1) Chiffres du 1/01/2018 venant du service public fédéral intérieur belge : http://www.ibz.rrn.fgov.be/fr/population/statistiques-de-population/