Il y a chez Marianne Rivoalen la satisfaction d’avoir été nommée juge à la Cour d’appel fédérale. Mais il y a aussi quelques inquiétudes et une préoccupation : que son ancien poste à la Cour du Banc de la Reine ne soit pas repris par un juge bilingue.

Mariam BA SOW

La Cour du Banc de la Reine, où Marianne Rivoalen a siégé pendant 13 ans, est une cour où les juges y pratiquent le droit pénal, civil, de la famille et la protection de l’enfance. Pour siéger à cette Cour, l’avocate qui aspirait à devenir juge avait envoyé sa candidature, examinée par un comité provincial composé de membres nommés par le gouvernement fédéral, de la communauté manitobaine et du Barreau. Le ministère de la justice fédérale décide ensuite de la retenue de sa candidature.

Marianne Rivoalen a été nommée à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en 2005 dans la Division de la famille : «Je travaillais déjà dans ce domaine comme avocate, ainsi que dans le domaine de la protection de l’enfance. C’est une profession qui m’a demandé beaucoup d’énergie physique et mentale, car on entre dans l’intimité des familles. On connaît tout des clients que l’on défend et il est parfois difficile de prendre du recul. C’est parfois très émouvant, et il n’est pas toujours évident de facturer des honoraires à quelqu’un dont on connaît la situation compliquée. Mais avoir connaissance de tous ces détails permet de faire la différence lors des procès.» Pour elle, l’engagement social se vit mieux comme magistrate.

La juge déplore le manque d’effectif dans ce domaine du droit : «Il n’y a pas assez de juges spécialisés dans les droits de la famille et de l’enfance, car c’est très prenant. Mais aussi très passionnant. Il y a du travail, on aura toujours besoin de personnes pour ce genre de litiges. Peut-être faudrait-il davantage en parler aux étudiants en droit pour qu’ils se spécialisent dans le domaine.»

Clairement, le métier requiert un certain nombre de qualités personnelles : «C’est gratifiant de pouvoir aider les gens, mais il faut être fort mentalement, épaulé et savoir comment lâcher prise pour se ressourcer quand c’est nécessaire. Pour cela, mon mari, William Emslie, m’aide beaucoup, il m’a toujours soutenu dans mes démarches. Il est primordial d’être conscient de la difficulté de la profession. Comme j’ai grandi à la campagne, les longues marches dans la nature et la méditation m’aident à y voir plus clair certaines fois. Je pense qu’on ne peut aider efficacement les gens que si on est bien avec soi-même.»

Ces expériences ont apporté à Marianne Rivoalen un large éventail de savoirs divers : «Comme je suis juge, mes compétences sont variées, car le domaine est vaste. J’exerce aussi le droit financier, immobilier, testamentaire, des sociétés et corporation. La seule chose que je n’ai pas essayé c’est le droit criminel.»

Le tribunal auquel la juge va siéger est présent dans 17 grands centres urbains, dont Ottawa. Cette Cour est bilingue et bi-juridique : elle applique la Common Law et le Droit civil en anglais et en français. Elle encourage le bilinguisme pour que chaque procès soit équitable. «La vocation de cette Cour est de s’assurer que les lois fédérales soient appliquées de façon constante et uniforme sur tout le territoire canadien. Ces tribunaux fédéraux assurent le respect du droit civil, fiscal, maritime, aéronautique, social, autochtone, de la propriété intellectuelle, de la sécurité nationale pour ne citer que ces dimensions là. C’est très complet.»

La Cour d’appel fédérale se compose du juge en chef Marc Noël et de 12 juges, dont Marianne Rivoalen : «Je suis la seule juge venant de l’Ouest canadien qui est bilingue. Entre 25 et 30% de femmes y siègent. La Cour d’appel du Manitoba se compose de 50% de femmes, et il y en a un tiers à la Cour du Banc de la Reine. Il y a encore des efforts à faire, mais c’est déjà pas mal pour des cours si spécialisées.»

Une chose inquiète particulièrement Marianne Rivoalen : «Depuis le jour de ma nomination [le 20 septembre 2018], je ne suis plus juge à la Cour du Banc de la Reine. Cela veut dire qu’une femme juge et bilingue manquera à l’effectif. Il n’y a pas de juge bilingue dans la Division de la famille, ce qui ne permet pas de jugement équitable pour les personnes qui ont besoin de l’intermédiaire d’un interprète pour se défendre. Les candidats à ce poste n’ont pas à venir exclusivement d’une culture francophone. Il y a beaucoup d’étudiants et de jeunes avocats très compétents dont la culture est anglophone et qui viennent des écoles d’immersion ou qui ont étudié à l’Université de Saint-Boniface. Je les encourage vivement à franchir le pas et chercher à devenir juge.»

Un profil féministe

Native de Winnipeg, Marianne Rivoalen a passé son enfance à Saint-Labre. Après avoir suivi des études à l’Université de Saint-Boniface pour obtenir son baccalauréat en sciences, elle s’est dirigée vers le droit sous l’impulsion de son professeur de mathématiques, qui reconnaissait en elle un esprit très logique.

En 1985, l’étudiante a obtenu son baccalauréat de droit à l’Université de Moncton. Bénévole au sein de la communauté franco-manitobaine, elle s’est faite remarquer pour sa participation aux mouvements et associations féministes. Elle a ensuite rejoint Pluri-elles entre 1991 et 1998, où elle a été élue présidente en 1994. Puis a fait partie du Réseau Action Femmes entre 1999 et 2000. Elle a siégé ai conseil d’administration de la SFM entre 1999 et 2003, où elle a été élue à la présidence en 2001. Enfin elle s’est impliquée au Centre Miriam de 2001 à 2003. «Je me suis vraiment impliquée dans la communauté, notamment pour la défense des droits des femmes. J’y ai beaucoup appris et ça m’a permis d’avoir le soutien dont j’avais besoin pour devenir magistrate.»

En plus de ses nombreuses activités, Marianne Rivoalen a aussi enseigné à l’école du Barreau au Red River Community College entre 1997 et 1998. Nommée «Femme remarquable de l’année 2001» par la Fédération nationale des femmes canadiennes-françaises (FNFCF), l’avocate s’est spécialisée dans le droit de la famille et en litige civil avec les cabinets Aikins, MacAulay & Thorvalson, puis avec Pitbaldo Hoskin. Elle a aussi été avocate-conseil avec Justice Canada de avril 2003 jusqu’à sa nomination à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba le 2 février 2005. Marianne Rivoalen a ensuite été Juge en chef adjointe par intérim à la Division de la famille de mai 2012 à mai 2015. Puis nommée Juge en chef adjointe à la Division de la famille du 22 mai 2015 jusqu’à sa nomination à la Cour fédérale d’appel le 20 septembre 2018.

Appareil judicaire du Canada

La plus haute cour au Manitoba est la Cour d’appel. Les juges sont nommés par le ministre de la Justice fédéral.

La Cour d’appel fédérale, dont Marianne Rivoalen fait maintenant partie, a préséance sur la Cour fédérale et la Cour canadienne de l’impôt, ainsi que sur tous les tribunaux administratifs fédéraux.

À la Cour du Banc de la Reine (ou Cour supérieure), les juges sont nommés par le ministre de la justice fédéral. Elle contient deux divisions : la Division Générale et la Division de la Famille.

Marianne Rivoalen : «Le juge est nommé par le gouvernement fédéral, donc c’est politique. Mais il n’est pas nécessaire d’être politisé ou de faire partie d’un parti. N’oublions pas que le terme politique vient du mot peuple. On est choisi indirectement par le peuple et on travaille pour lui.»

À la Cour provinciale, les juges sont nommés par le ministre de la Justice provincial.