Entre la République Démocratique du Congo et le Canada, la route a été longue pour Alliance Kindja Bahati. Après avoir passé dix ans dans un camp de refugiés en Ouganda, elle a trouvé refuge à Winnipeg, où elle poursuit sa passion pour la mode. La jeune entrepreneuse vise les grands projecteurs.

Par Chistiane DUNIA

En 2002, alors qu’elle n’avait que deux ans, Alliance Kindja, ses sept frères et soeurs et ses parents fuient les atrocités de la guerre à l’est du Congo.

Ils empruntent la route vers l’Ouganda où ils s’installent dans un camp de refugiés à Kampala, la capitale. La réalité était loin de ce qu’ils pouvaient imaginer. La nourriture et le logement faisaient défaut et les dossiers administratifs n’étaient pas traités du jour au lendemain.

Espérant obtenir le visa au plus vite, ils y ont passé quand même dix longues et périlleuses années. Alliance Kindja décrit les cinq premières années comme les plus rudes. « On ne connaissait personne dans le camp et on ne parlait pas la langue locale. C’était donc difficile de trouver un endroit où s’installer et parfois même de trouver à manger.

« Il y a une anecdote que j’aime raconter par rapport à notre situation. Un jour notre père nous avait demandé de faire un jeûne familial de quelques heures. On s’est exécuté. Quand est venue l’heure de clôturer le jeûne , il n’y avait rien à manger à la maison. On a donc continué le jeûne toute la journée. Aujourd’hui j’en ris, mais ce n’était pas drôle à ce moment-là. »

| Respirer un nouvel air à Winnipeg

Vu le statut de pasteur de son père, la jeune fille et sa famille ont bénéficié du soutien de la communauté congolaise et de leur église, permettant une amélioration de la situation économique familliale au fil du temps. « Les membres de l’église qu’on fréquentait sont intervenus au niveau financier et c’est ainsi qu’on a pu avoir un logement décent et vivre une situation moins critique. »

En 2012, la famille obtient finalement le visa pour le Canada. Alliance Kindja arrive à 14 ans à Winnipeg au mois de décembre de la même année. Le froid et les difficultés à s’adapter à un nouvel environnement étaient dissoutes dans la joie d’être finalement installés.

Une joie vécue comme une éclosion, souligne la jeune femme. « Il faisait très froid lorsqu’on est arrivés. On a fourni beaucoup d’efforts pour s’intégrer au plus vite et essayer de rattraper le temps perdu.

« C’était un nouveau départ pour tout le monde dans ma famille parce qu’on ne faisait rien de significatif en Ouganda. On savait que notre présence là-bas était juste une transition et non notre destination finale. Ici, on est tous retournés à l’école, même mes parents. »

Aujourd’hui, au début de sa vingtaine, Alliance Kindja a trouvé sa place. Elle est étudiante en travail social à l’Université du Manitoba et manager au magasin de vêtement International Clothing. Trouver l’équilibre entre les deux activités est primordiale pour la jeune femme, car ça lui permet de se concentrer sur sa passion : la mode.

Dans le camp, la mode n’était qu’une évasion à la dure réalité . À Winnipeg, elle a trouvé un moyen de concrétiser ses idées. « En Ouganda, je passais mon temps à faire des dessins de modèles de vêtements que je montrais à mes amies. Ici à Winnipeg, j’ai suivi une classe de coupe et couture à Glenlawn Collegiate.

« Une fois, ils nous avaient demandé de rassembler des morceaux de vêtements pour en coudre un neuf. J’ai confectionné une jupe avec des morceaux de jeans. Ça a déclenché quelque chose en moi. C’est là que j’ai eu l’idée de créer ma propre marque de vêtements. »

Alliance Kindja était prête à faire face aux exigences tant morales que matérielles pour débuter une entreprise. Elle comptait sur le soutien de sa famille. « Quand j’ai eu l’idée, je savais qu’il fallait mettre de l’argent en jeu. Ça ne m’a pas inquietée pour autant. J’ai eu le temps d’économiser. Comme je viens d’une famille nombreuse, je comptais sur mes soeurs pour m’aider. Et elles l’ont fait.

« À part le côté financier, mon plus grand problème a été la direction artistique à prendre. La mode est un concept très vaste, où il faut trouver sa signature et sa propre marque de fabrique. Alors je suis allée puiser à la source, là où tout a commencé. »

Sa première collection, sortie en 2018, était constituée essentiellement de vestes de printemps réversibles cousues avec des morceaux de jeans recollés d’un côté, avec un pagne africain de l’autre.

La jeune entrepreneuse a beaucoup appris de sa première expérience. Elle prévoit de mettre en action les leçons tirées pour améliorer ses prochaines créations.

« J’envisage de mettre ma prochaine collection sur le marché en 2020. Elle va être plus vaste que la précédente.

« Je vais devoir collaborer avec des experts dans beaucoup de domaines, parce que pour ma première collection, j’ai travaillé sur le marketing, la publicité, et j’ai même été modèle pour les photos. » (1)

| Kindja en swahili

Rêveuse tout en gardant les pieds sur terre, Alliance Kindja souhaite amener sa marque, Kindjacollection, à la Toronto ou la New York Fashion Week.

Elle veut aussi transmettre un message aux jeunes de sa génération. « En swahili, Kindja veut dire : une belle personne.

« Je veux motiver les jeunes en leur montrant qu’on peut réaliser ses rêves, peu importe d’où l’on vient.

« Qu’ils prennent conscience de la beauté qui se trouve en eux et la fassent ressortir en accomplissant quelque chose de beau. »

(1) Pour voir la collection en ligne : Visitez www.Kindjacollection.com