Au Manitoba, la mobilisation sanitaire a davantage mis en lumière certaines inégalités sociales, particulièrement au Nord. À l’exemple de la Nation crie de Nisichawayasihk, où les déplacements ont été limités pour les travailleuses et travailleurs essentiels et où l’accès à une alimentation saine s’avère encore compliquée.

Par Ophélie DOIREAU

Leanna Anderson, infirmière auxiliaire au Centre de bien-être familial et communautaire depuis novembre 2019, a mis en place une initiative pour sa communauté.

« Depuis la COVID-19, le chef et le conseil de bande ont décrété le confinement jusqu’au 25 mai. Depuis cette date, on est en période d’essai de la levée du confinement. Des restrictions s’appliquent toujours.

« Jusque-là personne ne pouvait quitter ou entrer dans notre communauté. Nous sommes environ 3 000 personnes. La Nation crie de Nisichawayasihk (1) est située à une heure de Thompson, où la plupart des personnes font d’habitude leurs épiceries.

« Il n’existe en effet qu’une épicerie au sein de la communauté. Avec la distanciation sociale, les files d’attentes peuvent durer jusqu’à trois heures les jours de paye. Les personnes se retrouvent à attendre à l’extérieur. »

Celle qui est aussi coordonnatrice locale du Programme canadien de nutrition prénatale et du Programme des initiatives sur le diabète des Autochtones, précise encore :

« De plus, les stocks de l’épicerie sont limités et tout le monde ne peut pas avoir accès à ce qu’il souhaite.

« Le fait de penser que certaines familles ne pouvaient pas subvenir correctement à leurs besoins essentiels m’a attristée.

« J’avais reçu un courriel avec une liste des subventions possibles pour contrer l’insécurité alimentaire. Elle a été établie par le gouvernement fédéral. Dans cette liste, une subvention fédérale était offerte par le biais du Club des petits déjeuners du Canada.

« Il s’agit d’accorder des allocations aux organismes communautaires afin de contribuer à maintenir l’accès des enfants à une saine alimentation pendant la crise.

« Le but est de rejoindre 300 enfants d’ici juin. En avril, nous avions déjà offert de l’aide alimentaire à 190 enfants. »

La motivation de Leanna Anderson est très personnelle. « J’ai moi-même vécu l’insécurité alimentaire lorsque j’étais enfant.

« Là je sentais le besoin de faire ma part pour ces enfants. Moi j’avais eu de l’aide de la part de mes voisins. Il me semblait normal de redonner. Et puis, il y a toujours eu de la générosité chez nous. »

Cette générosité s’est aussi manifestée après que Leanna Anderson a opté de lancer un appel sur Facebook.

Pour livrer les repas, j’ai décidé de demander l’appui de ma communauté. Beaucoup de personnes ont répondu présent.

« Lorsque j’arrivais dans les familles, les enfants couraient vers ma camionnette, vraiment excités en demandant ce que j’apportais. Certains m’ont dit : Tu m’as apporté un cadeau! en pensant que c’était déjà Noël. Un autre enfant a demandé à ses parents de faire des crêpes le lendemain matin. D’autres ont saisi les céréales et les ont embrassées. »

Pour Leanna Anderson, la COVID-19 aura permis une autre étape dans la prise de conscience collective du besoin d’une bonne nutrition.

« Les personnes ont davantage compris l’importance d’avoir une sécurité alimentaire au sein de notre communauté. Certains ont d’ailleurs déjà commencé à cultiver leur propre jardin, à élever de la volaille pour leurs viandes et leurs œufs, à récolter les baies, ou encore à chasser et pêcher pour leur nourriture.

« Notre épicerie locale ne se préoccupe que de ce qui est vendable. Mais nous travaillons en collaboration avec ses propriétaires pour défendre des choix plus sains. Nous sommes conscients que pour l’épicerie, ces choix peuvent être plus coûteux à commander, à livrer et à stocker.

« Il y a aussi le fait que nos modes de vie se sont accélérés. Nous ne prenons pas le temps de préparer un repas sain le midi ou le soir. L’option du plat tout prêt en boîte peut être séduisante.

« Cependant, il existe des moyens de préparer de manière assez rapide des repas sains avec seulement deux ou trois ingrédients. Tout passe par l’éducation.

« Au Centre de bien-être familial et communautaire, c’est l’une de nos missions : éduquer et sensibiliser la communauté sur de nouveaux modes de consommation.

« Nous offrons des cours de cuisine au Centre. Sur nos réseaux sociaux, nous partageons des recettes saines. Nous plaidons auprès de l’épicerie locale pour des options plus conformes à une bonne santé.

« Toujours dans la même optique, nous fournissons le nécessaire pour démarrer des jardins, pour élever de la volaille dans les arrière- cours. C’est un long effort de sensibilisation. Mais il est nécessaire pour assurer une sécurité alimentaire. »

(1) Nisichawayasihk signifie : Où se rencontrent trois rivières. Le nom fait référence à la confluence des rivières Footprint, Burntwood et Rat.