Alors que rien ne l’y avait préparée, Carmen Roy a appris en 2016 qu’elle souffrait de la maladie de Crohn, affection inflammatoire chronique de l’intestin. Depuis, sa vie a brutalement changé. Opérations, soins, traitements, régime alimentaire et entourage, tout a été bouleversé dans le quotidien de cette mère de famille originaire de Saint-Malo.

Par Jonathan SEMAH

C’est avec d’importantes douleurs au bas du ventre, une perte de poids et d’appétit, plus de force et de la fatigue extrême que les choses ont commencé pour Carmen Roy. Après de longues semaines de souffrance, elle décide de consulter. Débute alors de multiples visites dans les hôpitaux de la ville avant de comprendre ce qu’elle avait exactement.

« J’ai pratiquement fait tous les hôpitaux de Winnipeg : Misericordia Health Centre, Health Sciences Centre, l’Hôpital Victoria et l’Hôpital Saint-Boniface. Personne ne pouvait m’aider, je voulais simplement m’endormir et ne plus rien faire. Enfin, un médecin m’a prescrit une coloscopie. (1) Après cet examen et au bout de trois mois à essayer de comprendre, on m’a dit que j’avais une bactérie dans le corps. »

Si à ce moment-là, Carmen Roy obtient un peu plus d’informations sur sa santé, elle comprend rapidement que ce n’est pas un soulagement. Après un scanneur à l’Hôpital Victoria, elle apprend qu’elle doit être opérée en urgence.

« À la radio, les médecins ont vu que j’avais un abcès dans l’appareil digestif qui s’était répandu, il fallait opérer immédiatement pour l’enlever. On m’a dit que s’il explosait dans mon corps, je risquais de mourir. Ça m’a fait très peur. »

Petit à petit, les médecins ont pu mettre des mots sur ce mal. Carmen Roy est porteuse de Crohn, une maladie dont elle n’avait jamais entendu parler et qu’aucun membre de sa famille n’a jamais eue.

« Je ne connaissais pas cette maladie. Même le mot Crohn m’était étranger. Les seuls problèmes de ventre que je connaissais c’était quand on mange de la nourriture pas fraîche ou des aliments crus qui entraînent des maux de ventre ou le côlon irritable. »

Après l’opération, le plus dur a alors commencé pour Carmen Roy. Des traitements très lourds et des médicaments puissants se sont enchaînés.

« J’ai pris des médicaments qui sont habituellement donnés dans le cadre d’une chimiothérapie. J’ai perdu mes cheveux, c’était compliqué. J’allais à l’hôpital toutes les quatre semaines pendant trois heures pour prendre des médicaments par perfusion. Ces traitements me fatiguaient énormément. »

| La famille comme thérapie

Malgré ces soins importants, Carmen Roy n’était pas sortie d’affaire. Elle ressentait à nouveau des douleurs. Cette fois-ci à l’Hôpital Saint- Boniface, les médecins lui trouvent de nouveaux abcès entraînant de nouvelles opérations.

« J’ai alors subi plus d’une douzaine de chirurgies, ce qui est totalement exceptionnel pour un malade de Crohn. Les abcès revenaient encore et encore et les médicaments n’arrangeaient pas les choses. Dès que je mangeais, mon côlon souffrait. C’était insupportable, je dormais toute la journée, je voyais de moins en moins mon entourage, notamment mes deux garçons. »

Après un grand nombre d’opérations et des douleurs qui ne s’arrêtaient pas, Carmen Roy a pensé à abandonner. Mais, c’est à ce moment précis qu’elle a eu un vrai déclic.

« Un jour, mon plus jeune garçon a dit à son père : Je ne veux pas perdre ma maman. Quand j’ai appris ça, je devais faire quelque chose. Il fallait régler ce problème! Je suis devenue beaucoup plus responsable et active face à ma santé. J’ai beaucoup discuté avec les médecins, je ne voulais plus subir. Je ne voulais plus pleurer avec mes enfants. Le soutien de la famille et de l’entourage est déterminant pour avoir l’attitude positive. »

| Un quotidien à repenser

Carmen Roy a alors repris les choses en main. Premièrement, elle ne pouvait plus enchaîner les opérations. Ses médecins lui ont alors proposé, en 2019, de faire une stomie qui est une ouverture créée dans le côlon ou l’intestin grêle pour évacuer les selles lorsqu’elles ne peuvent plus l’être par les voies naturelles. « J’ai alors vécu pendant deux ans avec des poches de stomie qui recueillaient mes selles et l’urine.

« J’ai aussi changé mon régime alimentaire, je ne mange plus de légumes crus, de salade, des noix, de gras ou encore du pain. Tout doit être cuit et mou. Puis l’inflation de l’intestin s’est calmée. Je vivais et je vis encore avec ces nouvelles contraintes et je les accepte. »

En 2021, et en pleine rémission, les médecins de l’Hôpital Saint-Boniface qui suivaient Carmen Roy lui ont présenté la possibilité d’enlever cette poche. Un pas important, nécessaire pour retrouver l’apaisement.

« Je m’y étais habituée et je ne me voyais même plus vivre sans. Je ne pensais pas que c’était possible. Mais j’ai fait confiance à mes médecins et j’ai été une nouvelle fois opérée. À mon réveil, tout s’était bien passé, et la poche n’était plus là. »

Aujourd’hui, Carmen Roy va mieux personnellement et professionnellement. Depuis un an, elle est adjointe de direction au Centre national pour la vérité et la réconciliation. Le quotidien reste toujours délicat mais c’est surtout une question d’organisation notamment lors de sorties au restaurant.

Carmen Roy est aussi membre de l’association Crohn et Colite Canada depuis 2017 et milite désormais pour une plus grande connaissance et sensibilisation à ces maladies.

« Les gens pensent que je vais bien parce que je suis souriante et je ne me plains pas. Mais à l’intérieur on souffre énormément, on est épuisé. Au début, je n’ai pas eu beaucoup d’explications sur Crohn, et c’est si lourd de savoir qu’on vit avec une maladie incurable. Ça serait bien que plus d’informations soient partagées.

« C’est une maladie intime qui peut mettre mal à l’aise mais il faut en parler. Je me souviens, mon médecin m’avait laissé mettre des dépliants et des ressources dans sa salle d’attente et dans son bureau. Ce sont des petits pas, mais ça aide vraiment. »

(1) La coloscopie est un examen d’imagerie médicale qui permet de visualiser la paroi interne du côlon à l’aide d’un instrument appelé « le coloscope ».