Entre les répercussions de la pandémie, l’inflation et le manque de main-d’œuvre, les petits commerçants winnipégois ont la vie dure. À l’approche de la période des cadeaux et des grandes tablées, difficile pour les magasins locaux de faire concurrence aux géants de l’entreprenariat. Pourtant, consommer au coin de la rue n’a jamais été aussi important.

Par Hugo BEAUCAMP

“De manière globale, c’est un moment difficile. » C’est le constat que tire Sylvie Laurencelle-Vermette, présidente de la Chambre de commerce francophone de Saint-Boniface (CCFSB). Beaucoup d’entreprises connaissent une pénurie de main-d’œuvre, » Pour la présidente, il faut y voir une conséquence directe de la COVID-19.

« Même si on parle de fin de pandémie, beaucoup de gens tombent encore malade. Pour des entreprises de quelques employés seulement, une personne malade peut avoir un gros impact sur son fonctionnement ainsi que sur les autres travailleurs qui doivent assurer le travail d’une personne de plus. »

| Abandons de poste

Il semblerait cependant que ce manque de ressources humaines ne puisse pas être complétement imputé aux épidémies. D’après des données récoltées par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), 36 % des petites entreprises sont concernées par des abandons de poste, parfois, les gens ne se présentent simplement pas au travail. Mais ce n’est pas seulement un problème de ressources humaines. Le mot est sur toutes les bouches depuis près d’un an, l’inflation est un des grands responsables de cette situation. Pour la présidente de la CCFSB, là-dessus pas de doute possible.

« L’inflation a un effet domino c’est certain. Les prix augmentent alors que le pouvoir d’achat des Manitobains diminue. » Des mathématiques simples, mais qui révèlent l’existence d’un cercle vicieux dont les petits commerces ont bien du mal à se sortir. Comme en témoigne la créatrice de mode et gérante de la boutique Anne Mulaire, Andréanne Dandeneau : « Le coût de la main-d’œuvre a augmenté, celui des matériaux aussi, tout est plus cher alors forcément ça impacte les prix. » Sans grande surprise, cela se fait ressentir au niveau des ventes, la jeune femme poursuit : « La clientèle ne peut donc pas toujours se permettre certains achats. On a remarqué que cette saison des Fêtes, les ventes ont été moins nombreuses. »

Andréanne Dandeneau
Andréanne Dandeneau. Pendant le vendredi fou, le magasin Anne Mulaire offrait des réparations à vie sur tous les vêtements achetés en boutique. (photo : Marta Guerrero)

| Main-d’œuvre locale

Pour cette auto-entrepreneuse, le constat est simple, les gens dépensent moins et le montant dépensé est aussi moins élevé, mais « on ne leur en veut pas » ajoute-t-elle, « l’inflation concerne toutes les dépenses, celles pour la maison, les courses. » Surtout qu’en terme de prix d’achat, difficile pour les petits indépendants de faire concurrence aux grands groupes. Et c’est là tout le nerf de la guerre. « Toute notre main-d’œuvre est locale, donc plus chère », explique Andréanne Dandeneau. « On ne peut pas toujours se permettre de proposer de grosses réductions. »

Une période difficile donc pour convaincre les gens de consommer en bas de chez eux. Pour rappel, par rapport au mois de septembre 2021, l’indice du prix de la consommation au Manitoba a augmenté de 8,1 %. Si l’on se penche sur le détail du rapport publié en octobre cette année par le Bureau manitobain des statistiques, il apparaît que les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 10,7 %. Celui des vêtements et des chaussures 1,5 %. Moins vertigineuse, mais une augmentation quand même qui s’additionne à tout le reste. Alors à l’heure où les budgets mincissent, Andréanne Dandeneau a dû faire preuve de créativité pour encourager les clients à traverser la rue. Pendant les soldes du vendredi fou par exemple, l’idée était la suivante : « Pour tout vêtement acheté, les réparations étaient offertes à vie. »

| Réduire la surconsommation

Un moyen d’économiser de l’argent sur le long terme, mais aussi, un grand coup porté au visage de la surconsommation. « Ça pousse les gens à penser autrement, plutôt que d’acheter, jeter acheter encore, ici on veut garder les vêtements dans une boucle. La surconsommation est un enjeu important pour le milieu de la mode. » Plutôt que d’acheter beaucoup, acheter moins mais pour la vie. D’autant plus que les effets de la surconsommation sur l’écologie sont déjà bien connus. À titre d’exemple, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie indique que l’entretien de nos vêtements synthétiques (polyester) déverserait dans nos océans près de 500 000 tonnes de microparticules de plastique non biodégradable chaque année. Soit l’équivalent de 50 milliards de bouteilles en plastiques.

C’est là tout l’intérêt de consommer local, comme le souligne Sylvie Laurencelle-Vermette. « C’est meilleur pour le climat, c’est meilleur pour l’économie locale. » La présidente de la CCFSB salue d’ailleurs l’initiative d’Andréanne Dandeneau. Selon la Fédération Canadienne de l’entreprise indépendante, un commerce sur cinq dans la Province est en proie à devoir mettre la clé sous la porte. Alors la propriétaire de la boutique Anne Mulaire tient à rappeler que « les petites entreprises sont les plus à même de créer du changement, elles ont un côté plus humain aussi. On met tout notre cœur dans nos compagnies. »