À la fin du mois de novembre, Statistique Canada publiait des chiffres sur les enfants admissibles à l’instruction dans la langue officielle minoritaire au Canada. Ils seraient près de 30 000 enfants au Manitoba. Mais que signifie ce chiffre? Qui sont ces 30 000 enfants?

Par Ophélie DOIREAU

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté

Au Canada, c’est la Charte canadienne des droits et libertés qui reconnaît le droit à l’instruction dans la langue officielle de la minorité. Les ayants droit sont les personnes qui respectent l’un des trois critères énoncés dans l’article 23 de la Charte. Ces données étaient attendues depuis un certain nombre d’années, pour donner un portrait plus juste de la francophonie hors Québec et de son potentiel. Bien qu’elles soient sorties, il reste encore du travail pour en cerner les contours.

Sur ces 30 475 enfants admissibles à l’instruction dans la langue officielle minoritaire, 23 025 avaient entre cinq et 17 ans, les autres n’étaient pas en âge scolaire. Sur ce dernier nombre, 64 % d’entre eux avaient déjà fréquenté une école de langue française.

| Aperçu général

Dominique Pépin-Filion, travaille à Statistique Canada. Il donne un aperçu général du travail qui a été effectué au sein de l’institution. « Jusqu’alors, on ne pouvait pas dénombrer les enfants admissibles exactement selon la définition de la Charte.

« On a alors ajouté des questions pour recueillir les informations qui manquaient. Cependant, notre définition n’est pas exactement la même que celle de la Charte. C’est une opérationnalisation de cette définition légale. C’est pour cette raison que Statistique Canada a adopté un autre terme : on parle d’enfants admissibles à l’instruction dans la langue officielle minoritaire. En dernier recours, cette admissibilité-là est déterminée au cas par cas par les commissions scolaires dans les différentes provinces. »

Une réalité qui a lieu au Manitoba, au sein de la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM). Alain Laberge, son directeur général, fait le point. « La DSFM prend la définition de l’article 23 dans son sens le plus large. Revenons à la base. Un enfant âgé de six ans au Manitoba doit aller à l’école. Imaginons un enfant qui arrive d’un autre pays, il doit absolument s’inscrire dans une école. Que ce soit une école anglophone, d’immersion ou bien dans une école de la DSFM. 

Dominique Pépin-Filion
Dominique Pépin-Filion travaille pour Statistique Canada. (photo : Gracieuseté)

| Des cas particuliers

« Pour s’inscrire chez nous, il faut que la première langue apprise et comprise par un parent soit le français. C’est toujours le parent qui est un ayant droit. Prenons le cas de deux parents immigrants de l’Afrique francophone, qui ont le français comme deuxième langue. Leur enfant est techniquement ayant droit. En fait, comme leur première langue n’est ni l’anglais, ni le français, on se base sur la deuxième ou troisième langue.

« Du côté administratif, on doit tout de même remplir un formulaire de non-ayant droit puisque ce n’est pas leur première langue. Mais l’enfant est automatiquement pris dans nos écoles. Lorsque l’enfant est inscrit dans nos écoles, la DSFM reçoit du financement provincial comme pour n’importe quel ayant droit. Je dirais que depuis plusieurs années, on est entre 4 à 5 % de non-ayants droit dans nos écoles, qui comptent environ 6 000 élèves. »

Outre ces élèves, Alain Laberge pointe la particularité de l’article 23 de la Charte. « L’article possède un caractère réparateur. Il y a 40 ans, si j’étais un francophone qui vivait à Flin Flon ou à Thompson, j’étais un ayant droit. Mais je n’avais pas accès à une école francophone. De facto, j’allais à l’école anglophone, alors je perdais mon statut d’ayant droit.

| Génération perdue

« À la DSFM, nous appelons ça une génération perdue. On a l’occasion de redonner le statut d’ayant droit grâce à des comités d’admission qui sont composés de la direction d’école, d’un membre du service aux élèves et d’un membre du comité scolaire. Les comités d’admission viennent tout de même avec un gros travail à faire du côté de la famille. On regarde en priorité des enfants en maternelle ou en 1re année parce qu’on peut s’attarder sur la francisation. Alors qu’en 9e année, l’élève a moins de chances de réussite et on ne veut pas le mettre en situation d’échec. »

Statistique Canada avait tout de même pensé aux différents cas de figure. « Dans nos chiffres, on a aussi pris en compte les enfants qui sont dans le réseau des écoles françaises, même s’ils n’étaient pas ayants droit au départ.

| Limites du recensement

« Là encore, imaginons un enfant de parents immigrants de l’Afrique et dont la langue maternelle n’est pas le français. Mais ces parents parlent français en deuxième ou troisième langue. L’enfant est inscrit dans le réseau des écoles françaises. Statistique Canada le prend en compte dans sa définition d’enfants admissibles à l’instruction dans la langue officielle minoritaire. »

Conscient que la définition prévue dans l’article 23 de la Charte se concentre sur les citoyens canadiens, Dominique Pépin-Filion présente les limites du recensement. « On ne prétend pas coller ni à la définition de la Charte, ni aux décisions pratiques prises dans les différentes provinces.

« La principale limite du recensement est qu’au moment de la collecte de l’information, nous avons l’information du lien de parenté uniquement pour les gens qui vivent dans le même ménage.

| Sous-dénombrement et sur-dénombrement

« Imaginons un enfant avec des parents séparés. Si son parent qui est francophone vit dans un autre logement au moment du recensement, nous n’avons pas d’information sur leur lien de parenté. C’est quelque chose qui fonctionne uniquement si c’est le deuxième parent qui n’est pas francophone. On se dit alors qu’on a compté moins d’enfants. On parle de sous-dénombrement.

« La deuxième limite porte sur le sur-dénombrement. Dans la Charte, chacun des trois critères s’applique à des personnes qui sont citoyennes canadiennes. Cette information-là, on l’a dans le recensement. Mais seulement dans le questionnaire long, que seulement un foyer sur quatre doit remplir. La décision a été prise de ne pas tenir compte de la citoyenneté dans notre définition des enfants admissibles à l’instruction dans la langue officielle minoritaire. »

Des études seront publiées en 2023 pour voir les impacts sur les données publiées en novembre, en tenant compte du sous-dénombrement et du sur-dénombrement. Dominique Pépin-Filion n’est pas inquiet. « Nous sommes assez confiants que même avec cette direction, il n’y aura pas un impact significatif sur l’histoire qu’on peut raconter. »