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Le tremblement de terre, qui a tué plus de 5.000 personnes en Turquie et dans la Syrie voisine, s’avère un casse-tête diplomatique pour les pays occidentaux qui souhaitent acheminer l’aide aux Syriens, en particulier dans la zone rebelle d’Idleb, dans le nord-ouest.

Quelques heures après le séisme lundi, l’aide d’urgence était en route vers la Turquie. Des pays comme la France, l’Allemagne et les États-Unis ont également promis de secourir les victimes syriennes sans pour autant dépêcher immédiatement les secours en raison des difficultés logistiques dans un pays en guerre.

Venir en aide à la population syrienne “dans le contexte politique d’un régime qui a déclenché une guerre civile qui dure depuis plus de 10 ans” est compliqué, a consenti mardi Laurence Boone, secrétaire d’Etat français devant l’Assemblée nationale, ajoutant que la France privilégie l’aide via les ONG et les Nations unies.

Laurence Boone, secrétaire d’Etat français. (photo : AFP)

“La Syrie reste une zone d’ombre d’un point de vue légal et diplomatique”, témoigne Marc Schakal, le responsable du programme Syrie de Médecins sans Frontières, exhortant à acheminer l’aide “au plus vite”.

Il redoute que les ONG locales et internationales ne soient dépassées dans un pays ravagé par 12 années de guerre civile, qui oppose rebelles, dont certains sont instrumentalisés par des puissances étrangères, jihadistes, forces kurdes et armée du gouvernement de Bachar al-Assad, soutenu par l’Iran et la Russie.

L’aide est d’autant plus cruciale que “la situation de la population était déjà dramatique”, renchérit le professeur Raphaël Pitti, un responsable de l’ONG française Mehad, particulièrement inquiet pour la province d’Idleb.

L’un des problèmes majeurs est l’accès à ce dernier grand bastion des rebelles et des jihadistes, qui compte 4,8 millions de personnes, dit-il.

– Points d’accès –

La quasi totalité de l’aide humanitaire y est acheminée de Turquie par Bab al-Hawa, l’unique point de passage, garanti par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Acheminer de l’aide à partir du territoire syrien contrôlé par Damas est épineux diplomatiquement. Cela suppose aussi que le régime consente à la transmettre aux populations de la zone rebelle et que les belligérants s’accordent sur sa distribution.

Le passage de Bab al-Hawa, contesté par Damas et Moscou qui dénoncent une violation de la souveraineté syrienne, a été maintenu pour six mois supplémentaires jusqu’au 10 juillet. Sous la pression de la Russie et de la Chine, les trois autres points de passage ont été supprimés.

Mais Bab al-Hawa a été touché par le séisme ayant frappé les deux pays, a déclaré l’ONU mardi.

Pour l’heure, les experts doutent de la possibilité que les anciens points de passage puissent être rouverts.

Le régime de Damas, sous le coup de sanctions internationales depuis le début de la guerre en Syrie en 2011, a pressé la communauté internationale de lui venir en aide alors que le bilan s’alourdit: plus de 1.700 morts. Et plus de 4.500 en Turquie, selon des données provisoires.

L’ambassadeur syrien aux Nations unies Bassam Sabbagh a assuré que cette aide irait “à tous les Syriens sur tout le territoire”. A condition néanmoins que celle-ci soit acheminée de l’intérieur de la Syrie sous contrôle du régime.

– Suspension des sanctions ? –

Berlin est sorti de sa réserve pour demander l’ouverture de tous les points de passage.

De plus, “tous les acteurs internationaux, y compris la Russie, devraient user de leur influence sur le régime syrien pour que l’aide humanitaire aux victimes puisse arriver”, a commenté la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock.

Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité. (photo : Facebook officiel)

La France semble plus sur la réserve, “gênée aux entournures” d’aller dans un pays où elle ne reconnaît pas la légitimité du régime, avait souligné plus tôt Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité.

Outre l’ouverture de nouveaux points de passage, des voix s’élève comme celle de la communauté catholique de Sant’Egidio, dont le siège est à Rome ou le Croissant-rouge syrien pour suspendre les sanctions pour permettre à l’aide d’arriver plus rapidement.

Les pays occidentaux imposent des sanctions au régime de Bachar al-Assad depuis la brutale répression des manifestations antigouvernementales en 2011.

L’appartenance de la Syrie à la Ligue arabe avait également été suspendue.

Mais les Émirats arabes unis ont cherché ces dernières années à ramener ce régime isolé dans le giron arabe, rouvrant leur ambassade à Damas en 2018 et accueillant le président syrien à Abou Dhabi l’année dernière.

Ils ont promis mardi 100 millions de dollars d’aide aux victimes du séisme. La moitié de la somme ira aux populations affectées en Syrie.

Emmanuel Dupuy y voit “une sorte de normalisation au niveau de la Ligue arabe”. La Syrie pourrait, de son côté, faire valoir “un retour en grâce du fait qu’elle est victime” de ce séisme, dit-il.

“Il est impératif que tout le monde considère cette situation (…) pour ce qu’elle est, une crise humanitaire où des vies sont en jeu”, a lancé mardi le porte-parole du Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l’ONU, Jens Laerke, de Genève. “S’il vous plaît, ne la politisez pas”.

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