Plusieurs faits marquants en ressortent. Le CAC avance par exemple que si les personnes qui ont déclaré croire que la COVID-19 était un canular avaient été vaccinées lorsqu’elles y étaient admissibles, plus de 2,3 millions de personnes supplémentaires auraient été vaccinées au Canada. Cela aurait pu éviter 2 800 décès.

Cette hésitation à se faire vacciner due entre autres à la mésinformation et aux fausses nouvelles aurait pu aussi éviter 198 000 cas de COVID en moins et 3 500 patients de moins en soins intensifs. Aussi, près de 300 millions $ d’économies auraient pu être réalisés sur les coûts hospitaliers. Les conséquences sont donc coûteuses à plusieurs niveaux. D’ailleurs le CAC rappelle que ces estimations d’économies sont prudentes, car elles ne tiennent pas compte des coûts dus à la rémunération des médecins, aux soins ambulatoires ou à la COVID longue, ni des coûts sociétaux généraux, telles que les pertes de salaire.

Marie-Ève Carignan est professeure agrégée au département de communication de l’Université de Sherbrooke. Elle fait partie du comité d’experts à l’origine de ce rapport. Même si elle travaille sur ces sujets depuis plusieurs années, elle reste toujours surprise par certains résultats.

« On travaille dessus depuis deux ans. Ça a été un défi de faire ce rapport. Car pendant cette période le nombre de données, de documents, de rapports de recherche qui sont sortis sur la mésinformation et la désinformation a été fulgurant. Il est vrai que les chiffres qu’on a été capables de démontrer décrivent un phénomène d’ampleur. C’est compréhensible que ça retienne l’attention. »

Comme expliqué par Marie-Ève Carignan, beaucoup d’éléments ont été avancés pendant la pandémie.  Au point de parler « d’infodémie » par moment. Mais est-ce que surplus d’information et donc de   mésinformation existe plus quand ça vient à des questions de santé? « C’est certain que c’est une porte d’entrée pour une partie de la désinformation. C’est aussi une bonne entrée pour des leadeurs conspirationnistes, car beaucoup d’entre eux viennent de la médecine alternative, de la médecine naturelle et anti- vaccin. Il y a aussi une entrée politique, car des leadeurs conspirationnistes ont des idéaux politiques à défendre. Ils se servent de la désinformation pour propager leur idéologie politique. »

La professeure, co-titulaire et directrice du Pôle Média, chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, indique aussi que l’environnement ou l’agriculture sont aussi des thèmes très sujets à la mésinformation.

La mésinformation en ligne

Le CAC rappelle par ailleurs que la mésinformation se propage par les médias sociaux et par les communautés en ligne. En ce qui concerne les informations en santé, les personnes qui s’appuient sur les médias sociaux sont plus susceptibles d’accepter les théories du  complot, selon le rapport. L’idée de réguler les médias sociaux circule depuis longtemps,  mais selon Marie-Ève Carignan, il sera compliqué d’y arriver complètement. « C’est difficile, car au Canada, nous n’avons pas de lois qui interdisent la diffusion de fausses nouvelles comme telles. Même faux, il est délicat d’interdire quelqu’un d’exprimer un propos. Puis le savoir évolue. Quelque chose qu’on a qualifié de faux peut s’avérer vrai au fur et à mesure des connaissances scientifiques, sauf consensus sur certains sujets. Il est certain qu’il faut revoir l’encadrement de la désinformation. »

La régulation est donc une voie à sérieusement envisager. Malgré tout, Marie- Ève Carignan et les experts du rapport le redisent : il faut plus d’éducation et de sensibilisation à ce sujet, et ce pour toutes les tranches d’âge. « C’est important d’éduquer aux médias, au numérique, à la science et à la politique. Il faut le faire en milieu scolaire, mais aussi dans d’autres milieux pour des personnes plus âgées qu’on peut rejoindre dans un cadre professionnel ou syndical.

« On voit notamment qu’une grande partie des 18-55 ans adhère à la désinformation. Donc, il faut leur donner des outils pour aller chercher une source fiable et se faire une opinion en le rejoignant ailleurs autrement sur le terrain. »

Rappeler les bonnes pratiques

Au Canada, 68 % des adultes (18 ans et plus) ont déclaré avoir été confrontés à de la mésinformation relative à la COVID19 sur au moins un des sites de médias sociaux ou une des applications de messagerie qu’ils utilisent, indique le rapport du CAC. Le  rapport  des   experts se veut aussi  très  clair  sur la mésinformation  :  elle peut toucher  n’importe  qui à n’importe quel moment. Plusieurs solutions stratégiques sont avancées pour recréer du lien et rebâtir la confiance avec les personnes tombées dans la mésinformation ou adeptes de théories complotistes

Marie-Ève Carignan est aussi la co-auteure du livre Mon frère est  complotiste,  paru aux Éditions de L’Homme . La façon d’expliquer les choses reste  primordiale  selon  elle.

« Si on a un proche qui adhère à ce genre d’idées, ce n’est pas le temps de le confronter dans des rencontres de famille, car la personne risque de s’isoler encore plus. La meilleure approche reste individuelle quand la personne semble ouverte à la discussion. L’écoute est essentielle et il faut amener la personne à elle- même remettre en question ses croyances. Tout simplement, on peut sortir cette personne et la rencontrer dans d’autres circonstances et la ramener à des discussions plus concrètes qui vont moins la camper dans ses positions. »

De manière plus large, Marie-Ève Carignan rappelle des éléments très  simples pour éviter aux  citoyens d’être confrontés aux fausses nouvelles. « S’assurer d’avoir lu un article en entier avant de le partager en ligne. Se renseigner sur des sources fiables et voir ce qui fait consensus dans le monde scientifique notamment. On est dans une société de la rapidité, mais c’est important de faire cet effort et il faut en avoir conscience. »