Ce sont 39 minutes de documentaire que propose Danielle Sturk sur le site de l’Office national du film du Canada. (1)

39 minutes bouleversantes, où témoignages de femmes agressées et de jeunes hommes observateurs de la société se croisent pour aborder la délicate question des violences sexuelles.

Danielle Sturk, réalisatrice, mère, féministe et femme ne connaît que trop bien la réalité qu’elle décrit dans son documentaire. « Il suffit d’être femme dans ce monde pour vivre des expériences de violences sexuelles. Il faut être capable de le définir. Les violences sexuelles peuvent être de simples commentaires à caractère sexuel sur le corps, à des attouchements, à des commentaires sexuels sur les réseaux sociaux jusqu’aux agressions sexuelles graves. »

D’ailleurs très rapidement dans le documentaire, une jeune femme lance cette phrase qui montre une triste banalité. « Toutes les femmes que je connais ont la même expérience. »

Une triste banalité qui peut avoir un impact désastreux sur les femmes comme le souligne Danielle Sturk. « Tous ces commentaires et ces gestes peuvent être traumatisants. Surtout quand ils arrivent jour après jour, qu’importe le milieu. Ce que ces gestes nous disent c’est que la femme est un objet, que nous ne sommes pas importantes, que nous ne sommes pas respectées, ça impacte notre confiance en soi.

« Tout ça, je l’ai vécu. Et en tant que mère de quatre filles, être témoin de leurs propres expériences, je me suis dit : OMG, les choses n’ont vraiment pas changé. Les réseaux sociaux ont même amplifié les violences sexuelles. »

Un plaidoyer

Très rapidement dans son entrevue, Danielle Sturk passe de “les femmes” à “nous” parce qu’elle sait que son identité de femme est indissociable de ce documentaire. Et qu’en mettant un “nous” sur les statistiques qui rythment le documentaire, elle met un visage sur des chiffres qui résonnent. « En faisant mes recherches, j’ai découvert que 70 % des victimes déclarées, qui ne représentent que 5 % des cas d’agressions sexuelles, ont 18 ans et moins. C’est terrifiant. Ce sont des jeunes.

« En moyenne, à l’école, nous nous ferons agressées sexuellement la première fois lorsque nous serons en 9e année. »

Inarrêtable dans son plaidoyer, Danielle Sturk dénonce aussi les programmes scolaires qui n’invitent pas à la réflexion. « Lorsqu’il n’y a pas de programmes éducatifs dans les écoles qui parlent strictement de consentement, de l’éducation sexuelle, de relations saines, les jeunes n’ont pas les clés. Il faut quelque chose qui soit intégré pleinement à notre cursus scolaire de la maternelle à la 12e année, pas quelque chose de ponctuel.

« Dans le documentaire, une jeune femme témoigne qu’à 18 ans, elle ne savait pas ce qu’était le consentement. Comment dans notre société des jeunes adultes peuvent ne pas savoir ce qu’est le consentement? Si la société n’équipe pas les jeunes avec des connaissances et des moyens d’interventions, il y aura toujours ce genre de comportements. »

Un problème genré

« Quand on sait que 89 % des victimes d’agressions sexuelles sont du genre féminin et que 98 % des agresseurs sexuels sont masculins, c’est un problème d’hommes. »

– Danielle Sturk

Si Danielle Sturk a tenu à faire témoigner des hommes dans son documentaire, c’est aussi que notre société patriarcale fait, certes peser des pressions sociales sur les femmes. Mais aussi sur les hommes. D’ailleurs, elle regrette que des conversations sur l’identité masculine n’aient pas lieu. « La société n’éduque pas les jeunes garçons à se connaître comme êtres humains avec des relations saines avec les autres, avec une identité masculine qui veut dire générosité, sensibilité, sentiment, etc. Autrement ils sont pris dans un moule, ils sont pris dans une pression sociale de leurs pairs. Il suffit d’un harceleur dans un groupe de dix pour faire mal à quelqu’un. Les neuf autres personnes doivent être outillées pour ne pas prendre part, partir et même dénoncer cette situation.

« Mon but initial était de me concentrer seulement sur les jeunes garçons. Quand on sait que 89 % des victimes d’agressions sexuelles sont du genre féminin et que 98 % des agresseurs sexuels sont masculins, c’est un problème d’hommes. Même si certains jeunes hommes sont aussi victimes de violences sexuelles. Il reste que c’est un problème de masculinité, c’est un problème genré. Sauf qu’actuellement, les personnes qui œuvrent à changer la donne sont les victimes, principalement des femmes. Le groupe d’oppresseurs doit se responsabiliser. C’est évidemment une conversation difficile. Bien sûr, tous les hommes ne sont pas des agresseurs. Mais il suffit d’un. Et il suffit que les femmes ne disent rien et elles deviennent complices. »

Parce que les violences sexuelles se sont aussi des mécanismes de société qui sont implantés depuis longtemps et qui doivent être dénoncés comme l’explique Danielle Sturk. « Dans le film de Sarah Polley, Women Talking, il y a un moment très important. La personne réalise qu’en pardonnant à son mari de la battre, elle lui donne la permission de le faire. C’est la même chose dans la société. En gardant le silence, on donne permission aux hommes de commettre des actes d’agressions sexuelles. »

Une société à déconstruire

« Je lance alors le défi aux papas, aux frères, aux maris, aux amis et aux hommes d’aborder cette conversation avec leurs enfants, leurs sœurs, leurs épouses et leurs amies. »

– Danielle Struk

Alors avec beaucoup d’émotions et beaucoup d’espoir, Danielle Sturk lance un appel à la société. « Je lance alors le défi aux papas, aux frères, aux maris, aux amis et aux hommes d’aborder cette conversation avec leurs enfants, leurs sœurs, leurs épouses et leurs amies. C’est aux hommes de prendre la parole, d’apporter un changement et de reconstituer l’identité masculine. Après ces conversations, ils seront tout aussi heureux et gagnants que nous, les femmes.

« La scène classique c’est toujours des hommes autour d’une bière qui font une blague sexiste et les autres rigolent. Et on ne dit rien, on banalise la chose. Rire c’est appuyer la personne. C’est aussi dire que oui tu peux traiter la femme comme du bétail. Le silence est complice. »

Quand on fait un documentaire sur un sujet où on est personnellement si engagée, les témoignages, les recherches, les obstacles et les chiffres peuvent hanter la réalisatrice. Danielle Sturk n’a pas échappé à cette réalité. « J’étais enragée à chaque moment de ce documentaire, de trouver ces chiffres si terrifiants, de mettre des visages sur ces chiffres aussi. Comme parent aussi, je me suis sentie désarmée, sans pouvoir, sans puissance. C’est un sentiment dévastateur. Ce qui m’a permis de baisser ma tension, c’est de faire ce documentaire. Au moins, j’ai fait quelque chose. »

Mais Danielle Sturk voit tout de même un changement générationnel s’opérer dans la société.  « Ce qui m’encourage, c’est que les jeunes hommes dans le documentaire n’ont rien appris sur les mécanismes des violences sexuelles, il n’y avait rien de nouveau pour eux. Ils ne sont pas dans le noir, ils ont conscience de ce qui se passe dans la société. Comme homme, ils savent c’est quoi le problème. Maintenant, il faut se concentrer sur les solutions. Peut-être qu’une génération avant eux qui sont papas n’ont pas eu une certaine éducation, ils n’ont pas eu le mouvement #MeToo. Mais on peut tous apprendre à n’importe quel âge. Il faut déconstruire beaucoup de choses. »

Cependant Danielle Sturk repart en plaidoyer quand elle parle des écoles et du peu de ressources qui existent. « Les écoles ne sont pas obligées de mesurer et de rapporter les cas d’agressions sexuelles qui ont eu lieu dans l’enceinte de l’établissement. Sans chiffre, comment on peut dire qu’il y a un problème et qu’il faut y allouer du financement? Je trouve que ce décompte devrait être une obligation. Sauf qu’on casse du monde avec les agressions sexuelles, une personne n’est plus jamais pareille après une agression sexuelle. Il faut des ressources adéquates. »

(1) Le documentaire est disponible sur le site de l’Office national du film du Canada : https://www.onf.ca/film/pourquoi1/?hp_fr=feature_1&feature_type=w_free-film