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Quel sujet épineux que celui de l’éducation sexuelle. Tantôt tabou, tantôt décomplexée, les rapports entre la société et le sexe, c’est une affaire de changements, et la dimension pédagogique autour de la sexualité n’existait pas vraiment avant le siècle dernier. Car c’est à l’aube du vingtième siècle, dans le sillage de l’apparition des maladies vénériennes, que « l’éducation sexuelle » se montre pour la première fois en public. L’utilisation de guillemets est importante ici, car la notion d’éducation sexuelle à l’époque est aux antipodes de ce qu’elle est aujourd’hui, en 2023.
Dans les années 1980, alors que le SIDA ravage le monde occidental, lorsqu’il est question de sexualité dans les médias, c’est surtout pour dissuader les individus d’en avoir une. En particulier les adolescents.
Difficile à aborder
Il a longtemps été question de contrôler, voire réprimer la sexualité juvénile. Le sujet reste encore difficile à aborder au sein de certaines instances et familles. Mais de plus en plus de médias et de gouvernements se saisissent de la question et l’éducation sexuelle, à travers le prisme de la sexualité chez les adolescents, s’immisce même dans le paysage culturel en se faisant le sujet principal de séries à succès comme Skins (2007) ou, plus récemment, Sex Education (2019). Bien sûr, la sexualité a toujours su se frayer un chemin dans la culture. De la littérature à la peinture en passant par les écrans des salles obscures. Mais ces dernières années, sans devenir plus pudique, elle est devenue plus responsable, plus consciente d’elle-même et de l’importance de ce qu’elle véhicule.
En parallèle, plusieurs organisations ont amorcé un travail de sensibilisation et d’accompagnement, à l’image d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels (AC). Tous ces facteurs font que la chape de plomb qui recouvrait le sujet de l’éducation sexuelle se brise lentement, et la société prend conscience de l’importance du sujet. D’autant plus que l’éducation sexuelle englobe une multitude d’enjeux de santé, physique, mais aussi mentale.
Pourtant, en septembre 2022, un groupe de résidents demandait à faire retirer de la bibliothèque de Winkler des livres d’éducation sexuelle, qualifiant leur contenu de pornographique. L’un de ces livres, It’s Perfectly Normal de Robie Harris, avait déjà été banni de plusieurs bibliothèques aux États-Unis.
Preuve, s’il en fallait, qu’il reste encore beaucoup de travail à accomplir.
Des réponses aux questions
Roxanne Guyon est doctorante en sexologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et professeure à l’Université Laval. Elle rappelle l’importance de l’éducation à la sexualité et souligne au passage que cette dernière est très saine. « Il est essentiel d’aborder ce sujet avec ses enfants. Cela permet de leur donner des informations qui sont justes et qui vont au-delà de l’acte de pénétration.
« L’éducation à la sexualité permet de toucher aux valeurs d’empathie, de respect, de consentement. C’est important pour le développement d’un enfant ou d’un préado, car c’est un âge pendant lequel ils découvrent leur corps. Mais aussi celui des autres, et ils ont des questions. » Des questions auxquelles ils chercheront forcément des réponses, et ce, « avec les moyens qu’ils ont à disposition ». Alors, à l’ère d’internet, la censure d’un livre pensé et écrit par un sexologue pour des enfants paraît soudainement bien dérisoire, pour ne pas dire dommageable.
Et pour cause, selon la doctorante en sexologie à l’UQAM, l’utilisation de médiums est un excellent moyen de déconstruire l’aspect très formel autour de l’éducation sexuelle, et d’ouvrir le dialogue avec son enfant. « Pour beaucoup de parents, ce n’est pas tant qu’il s’agisse d’un tabou. C’est plutôt un malaise et un manque d’outils pour parler de certains sujets avec son enfant. Dans ces cas-là, les livres peuvent être pertinents. Les enfants et les adolescents apprennent mieux avec un médium. De plus, un médium peut favoriser la discussion avec les parents. Que ce soit un livre ou une scène dans un film par exemple. » Par ailleurs, Roxanne Guyon recommande aussi aux parents de se préparer, de s’informer au préalable. En se préparant pour engager la conversation, il se peut même qu’ils apprennent deux ou trois petites choses, car « il n’est jamais trop tard pour apprendre », et après tout, comme pour un examen, c’est moins stressant si l’on est bien préparé.
Initier l’éducation à l’école
Bien sûr, l’école a aussi son rôle à jouer dans l’éducation à la sexualité. Au Québec, depuis quatre ans, le cursus scolaire comprend de nouveau des cours d’éducation sexuelle, encore loin d’être parfaits : « Les enseignants responsables de ces cours ne sont pas des sexologues, souligne Roxanne Guyon. Il peut s’agir parfois d’un enseignant de mathématiques. » Au Manitoba, l’éducation à la sexualité fait aussi partie intégrante du programme d’étude. Comme au Québec, la matière peut être enseignée par les enseignants titulaires, d’éducation physique ou encore, les conseillers des écoles.
Après tout, éduquer, c’est la raison d’être des systèmes scolaires et comme pour tout le reste, en éducation sexuelle aussi, leur rôle est important. « L’école est très bien placée pour le faire, explique la doctorante. Les enfants y passent la majeure partie de leur semaine. Alors oui, ça peut commencer à l’école, mais il est vraiment très important que ce qui est abordé dans les salles de classe soit repris, consolidé et discuté dans le foyer. Il faut une continuité, il suffit de jaser avec son enfant. » Car au bout du compte, il en va de sa santé.
« L’éducation à la sexualité permet de toucher aux valeurs d’empathie, de respect, de consentement. C’est important pour le développement d’un enfant ou d’un préado, car c’est un âge pendant lequel ils découvrent leur corps. Mais aussi celui des autres, et ils ont des questions. »
Roxanne Guyon
Pour leur santé
Frédérique Chabot est directrice de l’équipe en promotion de santé auprès d’Action Canada. Dans le cadre de différents programmes, elle intervient donc directement auprès du public à propos de problématiques qui orbitent autour de la santé sexuelle et reproductive. De son côté, le constat est assez simple : « L’attitude et le manque d’information vont à l’encontre des objectifs de la santé publique. » Même dans le milieu professionnel selon elle. « Les aspects de santé sexuelle et reproductive sont souvent assez minimaux dans les cursus d’éducation des professionnels de la santé. »
Et justement, par manque d’information, les risques pour la santé physique sont bien réels. À l’exemple des infections sexuellement transmissibles (IST) qui sont encore trop stigmatisées. Par peur du jugement ou par honte, les jeunes ont tendance à ne pas se faire dépister. Ils peuvent alors s’exposer aux dangers qui accompagnent ces IST. Le manque d’éducation sexuelle n’a pas seulement pour conséquence de faire grimper les chiffres relatifs aux IST. « Il y a des enseignements qui sont nécessaires et encouragés à tous les âges, souligne l’éducatrice en santé sexuelle et reproductive. Il est recommandé d’enseigner très tôt à l’enfant les notions de respect et de connaissance de son corps, de consentement. Les différences entre un toucher sécuritaire et un toucher qui ne l’est pas. »
Lancer la conversation
C’est donc loin d’être anodin. Ce genre de conversation peut permettre de protéger ses enfants d’abus sexuels et physiques en général. Mais aussi, en éduquant les leurs, les parents protègent également les enfants des autres. « L’éducation à la sexualité est cruciale dans la lutte contre les violences sexuelles, les violences genrées, mais aussi pour encourager des relations romantiques et sexuelles saines.
« Des données probantes existent à ce sujet dans des pays européens comme les Pays- Bas, où l’on commence très tôt à éduquer sur cette question. Lorsqu’elles sont comparées aux États-Unis (É.U), où l’approche est basée sur la peur et la honte, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les niveaux de violences sexuelles chez les jeunes, les taux de grossesses adolescentes, les taux d’IST sont bien plus élevés aux É.U. »
Mais ça va même plus loin que ça, Frédérique Chabot poursuit, « même dans la qualité des relations que les jeunes femmes rapportent. Dans les Pays-Bas, par exemple, lorsqu’elles parlent de leur initiation à la sexualité, on remarque qu’elle arrive plus tard, que les jeunes femmes ont initié leur premier rapport parce qu’elles le voulaient, et qu’elles font état d’un niveau de satisfaction plus élevé.
« L’attitude et le manque d’information vont à l’encontre des objectifs de la santé publique. »
Frédérique Chabot
Utiliser des ressources
« En comparaison, aux É.U, l’initiation arrive plus tôt, le rapport est initié par pression des pairs ou pour le partenaire et, à propos de l’expérience, elles rapportent principalement de l’inconfort et de la douleur. »
Par extension, des rapports sains sont aussi bénéfiques pour la santé mentale des adolescents. Mis à part quelques cas, l’attirance sexuelle et les intérêts romantiques font partie intégrante du développement des enfants/adolescents. Les interrogations sont donc inévitables et ne pas pouvoir, ou ne pas oser, les verbaliser est profondément néfaste. « Les normes autour de la sexualité ont un impact énorme sur le bien-être. L’éducation sexuelle, ce n’est pas juste de dire : Bon, la chlamydia s’attrape comme ça donc il faut porter un préservatif. La mission est aussi d’aborder des questions plus profondes, d’interroger ce que les jeunes veulent pour leur sexualité. »
Cela étant dit, il convient de noter que certains sujets ne sont pas appropriés suivant l’âge de l’enfant. Il faut suivre le développement des enfants et les questions qu’ils posent sans nécessairement introduire des sujets au-delà de leur capacité de compréhension. Pour aider à cela, des ressources existent; des livres, entre autres.
Qu’en est-il du Canada?
De manière générale, la situation au Canada autour de la question de l’éducation sexuelle est complexe, et disparate d’une province à l’autre. En revanche, Frédérique Chabot, directrice de l’équipe en promotion de santé et éducatrice en santé sexuelle et reproductive au sein d’Action Canada pour la santé et les droits sexuels, pointe du doigt une idée erronée. Alors que l’éducation sexuelle est souvent perçue comme une question très polarisée, elle affirme. « Il existe un très grand niveau de soutien en faveur de l’éducation à la sexualité. Lorsque l’on regarde au niveau du Canada, pour l’éducation à la sexualité à l’école, en Ontario on parle de 95 % des parents en faveur, 92 % en Saskatchewan et pareil au Nouveau-Brunswick. Donc une vaste majorité des parents veulent que le système scolaire joue son rôle pour éduquer leurs enfants. »
Et pourquoi ne pas aussi prendre en compte l’avis des concernés pour la création des programmes? Après avoir travaillé auprès d’adolescents, c’est une idée que soulève la doctorante en sexologie, Roxanne Guyon. « Ils (les adolescents) ne se sentent pas concernés, ni impliqués, ne sont pas consultés et ce sont des adultes qui décident des contenus, alors ça les touche moins. Ils veulent faire partie de la solution! Ils ont tellement de choses à nous dire, il suffit de les écouter. »