Pour lutter contre la haine, le gouvernement souhaite intégrer l’enseignement de l’Holocauste dans le programme d’études de la maternelle à la 12e année et munir le personnel éducatif d’outils pour lutter contre l’islamophobie. 

Outre les grandes priorités politiques de fond liées à la santé ou encore l’environnement, le Nouveau Parti démocratique a aussi voulu marquer ce discours du Trône en parlant des questions sensibles d’actualité. 

Le conflit entre Israël et le Hamas, débuté le 7 octobre, a fait augmenter les tensions entre communautés partout à travers le monde. Le Manitoba n’a pas échappé à cette réalité. Le gouvernement provincial en fait d’ailleurs mention dans le discours. 

« Notre gouvernement a reçu les confidences d’élèves juifs qui nous disent avoir peur d’aller à l’école. Notre gouvernement s’est aussi entretenu avec des familles musulmanes victimes de discrimination et d’actes de violence islamophobes. »

En première ligne de ces annonces se trouve donc le personnel enseignant. Alain Laberge, directeur général de la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM), apprécie la réaction du gouvernement sur ces sujets et rappelle que la DSFM a toujours essayé d’être proactive sur ces thèmes. 

« Ça fait déjà des années qu’on enseigne non seulement l’Holocauste, mais aussi toutes formes de génocide, en expliquant bien d’où viennent les choses. Derrière ça, il y a des éléments très forts d’enseignement : qu’est-ce que la démocratie? Qu’est-ce que le courage? Comment je peux changer les choses? Le ministère va donc développer des curricula de la maternelle à la 12e. Nous, on veut aider le ministère à créer, car on ne veut pas une traduction de l’anglais. »

Alain Laberge explique qu’il faudra bien adapter le discours en fonction de l’âge des élèves. Pour ça, il compte beaucoup sur la pédagogie du corps enseignant. « Il faut prendre en compte la maturité des élèves. On ne parle pas de génocide, en montrant des photos de camps à des enfants de première année. Quand on fait un curriculum, ça amène à bâtir des outils qu’on veut donner aux enseignants. Et ensuite, il faut les former. »

« Si, dans ma salle de classe, les étudiants ne sont pas à l’aise, n’ont pas un sentiment de sécurité ou qu’on n’a pas clairement communiqué nos attentes en matière de respect et d’écoute, ça va vite devenir pas beau. »

Jude Gosselin

Se préparer à en parler

La formation des enseignants est la spécialité de Jude Gosselin, professionnel enseignant qui a rejoint l’Université de Saint-Boniface lors de cette rentrée 2023. 

« Dans mon cours de didactique, avec mes étudiants qui sont en stage dans les écoles, on a beaucoup parlé de ces sujets », lance le professionnel en éducation. Il révèle par ailleurs que présentement, dans les programmes d’études, le mot Holocauste ou Shoah ressortait seulement une fois en 6e année. Au secon-daire, l’Holocauste est expli-citement mentionné trois fois dans le programme d’études d’histoire. 

Jude Gosselin conseille notamment de bien préparer le terrain en amont pour ensuite ouvrir ces discussions, et ce, peu importe le niveau de sensibilité du sujet. « Si, dans ma salle de classe, les étudiants ne sont pas à l’aise, n’ont pas un sentiment de sécurité ou qu’on n’a pas clairement communiqué nos attentes en matière de respect et d’écoute, ça va vite devenir pas beau. »

Comme souligné par Alain Laberge, Jude Gosselin confirme que beaucoup d’enseignants abordent déjà ces sujets. Selon lui, c’est une bonne chose que la Province cherche à mettre plus d’emphase sur ces enjeux. 

« Il y a tout de même un certain nombre d’enseignants qui ont des craintes à parler de ces sujets. Par peur de dire quelque chose qui soit mal interprété et après de se retrouver dans les manchettes pour avoir tenté de faire quelque chose d’important, mais aussi extrêmement difficile. »

Quelles ressources pour les enseignants?

Pour ne pas que les enseignants se retrouvent sans soutien pour préparer puis aborder ces sujets en salle de classe, ils pourront avoir accès à plusieurs ressources. En effet, même si « ces mesures ne sont qu’une première étape » selon le gouvernement, il n’a toutefois pas encore présenté de mesures concrètes. En ce qui concerne l’islamophobie, la Province évoque des « outils provenant de la communauté musulmane », sans donner plus de détails.

Belle Jarniewski
Belle Jarniewski, directrice du Centre du patrimoine juif de l’ouest du Canada. (photo : Marta Guerrero)

Belle Jarniewski, directrice du Centre du patrimoine juif de l’ouest du Canada, attendait, elle, ce genre d’annonce depuis longtemps. « J’ai trouvé dans nos archives une lettre destinée à la Province, et qui demandait de donner cet enseignement, qui date des années 1970. »

Même si Belle Jarniewski ne sait pas non plus quelle forme vont prendre ces annonces, elle a tout de même eu quelques informations. Elle évoque une réunion avec le ministère une dizaine de jours avant le discours du Trône. « On a parlé d’une extension au cours d’histoire canadienne en 11e année. Il y a aussi des éléments à prévoir dans les cours de littérature et d’éducation civique. »

Belle Jarniewski attend maintenant le cadre officiel. Elle explique aussi avoir participé à la rédaction d’un document concept sur les façons de faire. Un document qu’elle a rendu au gouvernement il y a quelques jours. 

« C’est encore pire, notamment à cause des réseaux sociaux où l’on voit beaucoup de négationisme. Malheureusement, sans une bonne éducation, les jeunes peuvent tomber sur ces fausses informations. »

Belle Jarniewski

Savoir contre ignorance

Comme toute forme de haine, l’antisémitisme et l’islamophobie ont comme point commun le manque important d’information. Pour soutenir les enseignants, le savoir, la culture, la pédagogie et la littérature seront leurs meilleurs outils. 

Lise Pinkos est directrice des programmes pour le Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP). Après ces annonces gouvernementales, elle s’attend à une hausse des visites des écoles. 

« Nous avons des programmes qui traitent d’antisémitisme, de haine sur plusieurs plans. Les enseignants et élèves peuvent en apprendre sur des sujets qui touchent à l’autre. On propose des visites guidées en présentiel et virtuelles. On a hâte d’appuyer les enseignants. Il y a aussi des ressources en ligne que nous avons développées avec le Musée de l’Holocauste à Montréal. Nous avons aussi une éducatrice en résidence qui a développé des outils à propos du racisme et de l’antiracisme qui conviennent aux élèves de la maternelle à la 12e. »

La directrice des pro-grammes ajoute que ces ressources sont disponibles en français et en anglais. Le MCDP est par ailleurs prêt à former les enseignants si besoin. « Il faut s’en servir, c’est un lieu d’éducation », ajoute Alain Laberge. 

D’ailleurs, le directeur de la DSFM reconnaît aussi que les directions et les enseignants ne savent pas tout. Dans ce genre de cas, une aide extérieure est toujours la bienvenue. « Ça nous est arrivé notamment pour l’éducation à la sexualité. Nous avions reçu dans nos écoles des infirmières. »

Lise Pinkos
Lise Pinkos, directrice des programmes pour le Musée canadien pour les droits de la personne. (photo : Marta Guerrero)

Un atout pour la pensée critique

En 2019, la Fondation Azrieli avait présenté une enquête qui démontrait qu’un jeune Canadien sur cinq n’avait jamais entendu parler de l’Holocauste ou n’était pas sûr 

de ce que c’était. « Et près de la moitié ne pouvait pas nommer un ghetto ou un camp de concentration », précise Belle Jarniewski qui ne pense pas que les choses se sont améliorées depuis. « Je pense que c’est encore pire, notamment à cause des réseaux sociaux où l’on voit beaucoup de négationisme. Malheureusement, sans une bonne éducation, les jeunes peuvent tomber sur ces fausses informations. »

Jude Gosselin, qui a aussi été enseignant pendant dix ans à la DSFM et dans les écoles d’immersion, y voit une bonne occasion pour développer la pensée critique des élèves qui font face, chaque jour, à beaucoup d’informations. 

« Le défi dans le contexte actuel, c’est de ne pas écarter les émotions, mais les mettre à leur propre place. Quand j’étais enseignant, on étudiait la colonisation. Je prenais alors un exemple qui ne touchait pas du tout les élèves : la colonisation française de la Nouvelle-Calédonie. D’entrée de jeu, les élèves n’avaient pas de lien avec le conflit. On avait quand même différentes opinions chez les élèves, notamment sur la lutte pour l’indépendance. Mais là, on avait développé des habiletés qu’on pouvait appliquer à des thèmes plus proches de nous, qui nous touchent émotionnellement. »