Des chiffres qui décrivent des difficultés économiques et une santé mentale en souffrance.

Ces chiffres de Statistique Canada, publiés le 25  janvier 2024, viennent combler des lacunes en matière de données sur la population 2ELGBTQ+ (1) du Canada et s’inscrivent dans l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2019 à 2021.

On apprend notamment qu’environ 1,3 million de personnes, soit 4,4 % de la population canadienne âgée de 15 ans et plus, ont déclaré être 2ELGBTQ+, contre 4 % en 2018.

10,5 % d’entre eux sont des jeunes de 15 à 24 ans. À l’inverse, 1,3 % des adultes de 65 ans et plus indiquaient être 2ELGBTQ+.

Une évolution positive qui reste à nuancer pour Kevin Prada, étudiant en psychologie à l’Université McGill et chercheur auprès des populations 2ELGBTQ+. « C’est un signe du contexte historique. Il y a de plus en plus de jeunes personnes qui s’affirment non seulement comme 2ELGBTQ+, mais aussi en employant des étiquettes autres que gai, lesbienne ou bisexuel.le. C’est donc une évolution dans les termes, mais aussi une évolution pour les jeunes qui sont plus à l’aise de s’affirmer. Il y a un climat différent, mais tout n’est pas encore beau. Il n’y a qu’à voir les manchettes, il y a encore énormément de violence. »

Pour les personnes plus âgées, c’est là aussi une question historique. Statistique Canada explique qu’il est possible que ces personnes aient vécu « une bonne partie de leur vie dans une société moins ouverte à la diversité sexuelle et de genre. »

Pour soutenir ces personnes, Kevin Prada rappelle l’existence de certains programmes au Canada, notamment les services proposés par le Rainbow Resource Centre et la construction d’un Campus Queer à Winnipeg. « Ce qui arrive très fréquemment, c’est que les personnes aînées LGBTQ2+ qui quittent leur maison pour aller dans un foyer de soins de longue durée retournent souvent “dans le placard’’. C’est un énorme problème que les per-sonnes ne puissent pas vivre pleinement leur identité », nous disait dans une entrevue en 2023 (2) Evan Maydaniuk, directeur du développement du Rainbow Resource Centre.

Revenu plus faible pour les personnes 2ELGBTQ+

Dans ces récentes données, Statistique Canada donne également une mise à jour sur la situation économique des personnes 2ELGBTQ+. On apprend notamment qu’une proportion plus élevée de per-sonnes 2ELGBTQ+ (40,3 %) que de personnes non 2ELGBTQ+ (36,8 %) étaient titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme supérieur. En revanche, malgré leur niveau scolaire, une plus grande proportion de per-sonnes 2ELGBTQ+ (18,4 %) de 25 à 64 ans se situaient dans le quintile inférieur de revenu personnel, par rapport aux per-sonnes non 2ELGBTQ+ (13,5 %), explique l’organisme fédéral.

Kevin Prada souligne le caractère discriminatoire et illégal de ce genre de pratique. Il indique aussi qu’au niveau de l’embauche, il y a aussi plus de difficultés pour les personnes 2ELGBTQ+. « On voit là les limites et les problèmes liés au concept d’affirmative action (3). Il y a de plus grands problèmes sociétaux. Il existe encore des biais implicites qui sont très forts. Quand une personne s’affirme ouvertement, là d’un coup, il y a comme une réticence à l’embaucher. Si ça reste encore difficile à pointer du doigt, ces chiffres montrent clairement une réalité. »

Le chercheur met aussi de l’avant un thème moins connu : l’hétéroprofessionnalisme. Certains individus n’afficheraient pas leur identité en milieu professionnel pour éviter toute différenciation. « Pour paraître professionnel, il faudrait paraître hétérosexuel. Si l’on affirme son genre de manière différente, ce n’est pas seulement qu’on nous voit avec un moindre regard, on paraît aussi moins professionnel. Et donc s’il y a moins d’employabilité, il y a moins de revenus et ça peut aussi impacter la santé. »

Santé mentale passable ou mauvaise

La santé que Kevin Prada évoque, c’est aussi le dernier point mis de l’avant par Statistique Canada. Trois personnes 2ELGBTQ+ sur dix (29,7 %) ont déclaré que leur santé mentale était passable ou mauvaise, par rapport à moins de une personne non 2ELGBTQ+ sur dix (9,1 %). « C’est une situation encore pire pour les personnes transgenres ou non binaires. Plus une personne s’éloigne de la norme sociétale, pires sont les séquelles sur la santé mentale et le bien-être », précise celui qui avait fait partie du comité scientifique du Collectif LGBTQ* pour l’analyse des besoins des membres de la communauté LGBTQ2S+ d’expression française.

Ces données datant de 2019 à 2021, Kevin Prada rappelle que la COVID-19 est passée par là et a ajouté du stress aux personnes déjà isolées. « La pandémie a touché tout le monde. Mais on sait que les populations déjà marginalisées l’ont été encore plus, que ce soit en santé mentale, en employabilité, en logement, en sécurité alimentaire. »

À l’heure du bilan, le portrait dressé par Statistique Canada montre qu’il reste encore des progrès à faire pour le droit des personnes. « On a tendance à croire que le Canada est un pays beaucoup plus progressiste qu’il ne l’est vraiment. Mais on voit ces problèmes-là dans plusieurs secteurs, comme la santé ou l’éducation. On a encore du mal à en parler, alors il faut continuer à pousser. »

(1) Ce sigle, utilisé par le gouvernement canadien, désigne les personnes aux deux esprits (ou bispirituelles), lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers et intersexuées, ainsi que celles qui emploient d’autres termes relatifs à la diversité sexuelle et de genre

(2) Voir notre édition du 17 au 23 mai 2023.

(3) Ensemble de procédures visant à éliminer les discriminations illégales parmi les candidat.e.s, à remédier aux résultats de ces discriminations antérieures et à prévenir de telles discriminations à l’avenir.