John Ferrer et Franck Blandignères ont beaucoup de points communs. Surtout, ils viennent tous les deux de la région de Perpignan, dans le sud de la France. Mais quelles étaient les chances qu’ils se rencontrent un jour d’hiver, au Manitoba?

Le premier à être arrivé au Manitoba, c’est Franck. Baroudeur dans l’âme, il a quitté sa France natale à l’âge de 17 ans. Il avait bien d’autres destinations en tête, avant de rencontrer celle qui est devenue la mère de ses enfants. Il a rejoint cette Manitobaine, qui est aujourd’hui son ex-épouse, et ils ont eu deux filles. « J’ai beaucoup voyagé dans ma vie. Mais quand j’ai atterri à Winnipeg, je me suis senti comme si j’étais chez moi pour la première fois. »

Des circonstances particulières

Quelques années plus tard, c’est au tour de John Ferrer de débarquer au Manitoba, avec sa famille. Les circonstances sont un peu particulières. Le fils aîné de John Ferrer et de son épouse, Mélanie, est atteint d’une maladie génétique rare : l’hypophosphatasie (1).

Un jour de novembre 2009, c’est le chamboulement : la famille Ferrer reçoit un appel d’une généticienne. Julien est sélectionné pour participer à un programme expérimental… À Winnipeg, au Canada. Il fallait partir de suite. « On n’a pas cherché à comprendre. On s’est dit : On est obligés d’y aller. On y va

Comme pour beaucoup de personnes qui n’ont jamais mis les pieds à Winnipeg, le premier choc, c’est le choc climatique. Surtout en plein mois de décembre. L’hôpital des enfants s’est très bien occupé de l’arrivée de cette famille, mais c’était un départ tout de même précipité, rempli d’incertitudes… Et puis un beau jour, LA rencontre.

Un article qui change tout

Dans leur région d’origine, il y a un journal local qui s’appelle L’Indépendant. À l’époque, un article avait été écrit et publié sur le départ de Julien et sa famille pour le Canada. Franck Blandignères lisait (et lit toujours) ce journal et découvre, ainsi, l’histoire du « petit Julien qui s’en va au Canada ». À Winnipeg.

« Mon ex-femme était enceinte de huit mois et demi, de notre deuxième fille. Ma première, Marianne, avait un an et demi. Elle est handicapée. Ça, c’est important de le signaler. Je regarde mon ex-épouse et je lui dis : Il y a un couple de Français qui vient d’arriver, ils ont un garçon qui est atteint d’une maladie génétique, ils ne connaissent personne… Qu’est-ce qu’on fait? Elle a levé les yeux au ciel et elle a dit: On y va

Franck Blandignères débarque alors pour rencontrer John et Mélanie Ferrer, qui acceptent l’aide de ce total inconnu. Quand la famille Ferrer s’approche de la voiture de Franck, ils aperçoivent sur le coffre, le symbole de leur département d’origine : l’âne catalan (2). John se dit : « Ça y est, on y est. En voyant cet âne catalan, ça m’a rassuré. »

La Catalogne réunit ces deux familles au milieu du Canada, mais pas que. Il faut dire qu’ils partagent aussi une réalité un peu hors du commun. Franck Blandignères explique. « La maladie de Julien, c’était un peu comme le handicap de ma fille. Je sais que c’est un monde très différent de ce que les gens connaissent. C’est un monde à part. »

« On aurait dit que Franck c’était le père Noël »

Après cette rencontre et de fortes émotions, il faut revenir à ses esprits. John et Mélanie Ferrer, qui ont laissé leur fils cadet Raphaël en France, à l’époque âgé de trois ans, s’apprêtent à « fêter » un Noël très particulier. Sans hésiter une seconde, Franck leur propose de passer le 24 décembre avec eux.

« C’est ça qui m’a le plus surpris, se souvient John Ferrer. Quelqu’un qui ne te connaît pas beaucoup, qui t’accepte dans son intimité de fêtes de famille. Cette ouverture d’esprit, ça m’avait bouleversé. D’un coup, ils ont trois inconnus qui arrivent comme ça… C’est vraiment ça que je retiens de tout ça. Ils nous ont acceptés comme on était. On était dans une phase compliquée de notre vie et ce moment-là, on en avait besoin.

« Depuis, on fait ça, nous aussi. Je ne sais pas si on peut dire qu’une tradition a commencé là. Mais quand on sait qu’il y a des gens qui sont tout seul pour Noël, on les invite. »

Une amitié fraternelle

En tout cas, cette amitié, forte, fraternelle, a bel et bien commencé ce jour-là. Depuis, John, Franck et leurs familles partagent les moments forts de la vie, les joies, les peines. Pour John Ferrer, cette histoire est la définition de « l’amitié pure, sincère, inconditionnelle. Tu ne peux pas le commander. Ils ont fait quelque chose de très fort, avec le cœur, et on ne peut pas l’oublier. »

Pour Franck Blandignères, ce geste, cette ouverture, c’était « juste normal. C’est tout. Je me suis dit : C’est déjà suffisamment dur. Si on peut, ne serait-ce que les soulager un petit peu… Et je pense vraiment qu’arriver à toucher au cœur de l’être humain, ce ne sera jamais une mauvaise expérience. »

(1) Rendez-vous dans les archives de La Liberté ou dans l’édition numérique sur la-liberte.ca pour retrouver plus d’articles sur Julien Ferrer, sa famille et leur histoire.

(2) Un département, c’est le terme utilisé pour désigner une petite région en France. Il y en a une centaine dans le pays. Ils ont tous leur numéro, leurs culture et spécialité et/ou symbole. Par exemple, John et Franck viennent du département 66, les Pyrénées- Orientales, dont le symbole est l’âne catalan.

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