Dans son budget pluriannuel, la ville de Winnipeg a apporté quelques changements au fonctionnement des bibliothèques publiques et notamment celui de la bibliothèque du Millénaire.

Cette dernière ne devrait plus ouvrir les dimanches. Aux dépens de la bibliothèque du centre-ville cependant, les 20 autres bibliothèques de Winnipeg verront leurs horaires d’ouverture s’allonger de 12 %. De plus, les services offerts aux personnes en situation d’itinérance par le centre de ressource Connexions communautaire pourraient être amenés à disparaître en raison d’un manque de financement.

Toutefois, depuis l’adoption du budget de la ville, le gouvernement provincial a augmenté les fonds réservés à la bibliothèque Millénaire d’un peu plus d’1 million $ dans son budget 2024 présenté le 2 avril. Passant de 7,1 millions $ à 8,3 millions $.

Un rôle important

Si la décision de fermer la bibliothèque le dimanche peut paraître anecdotique au premier abord, pour la professeure à l’école de travail social de l’Université de Moncton, Marie-Pier Rivest, c’est loin d’être le cas et il faut bien comprendre le rôle des bibliothèques pour le voir. « Elles jouent vraiment le rôle de ce que l’on appelle troisième lieu dans l’espace social.

« Par exemple, le premier lieu est un endroit très privé, donc la maison. Les seconds lieux sont aussi des espaces de vie privée, mais que plus de personnes peuvent fréquenter comme le lieu de travail. Les troisièmes lieux sont des endroits qui, dans la vie communautaire, sont accessibles à la grande majorité des citoyens et citoyennes. Pour les personnes en situation d’itinérance, la bibliothèque c’est vraiment un espace dans lequel on peut se rendre pour se reposer, pour lire ou se livrer à des activités. C’est aussi un lieu où l’on peut aller chercher de l’assistance. »

Un lieu pour aider

En effet, la bibliothèque n’est pas seulement un endroit chaud l’hiver ou climatisé l’été. La bibliothèque permet aussi l’accès à des ressources qui sont essentielles comme l’accès à Internet. « Ça permet de chercher un emploi, chercher un logement, parfois pour reconnecter avec sa famille, ses amis. C’est l’un des seuls espaces où les personnes qui n’ont pas accès à Internet ailleurs peuvent aller. » À cela s’ajoutent aussi les ressources qui accompagnent les services sociaux du centre de ressources communautaire. Ce dernier permet, entre autres, d’accompagner les personnes dans le besoin vers les services d’aides adéquats.

Marie-Pier Rivest indique d’ailleurs que l’implémen- tation de ce type de service dans les bibliothèques est assez répandue. « Aux États-Unis, il y a un gros réseau de travailleurs sociaux qui œuvrent dans les bibliothèques, ça existe depuis plusieurs décennies. Au Canada, cela reste assez émergent, précise-t-elle. Il y en a de plus en plus, c’est récent, mais ça prend de l’ampleur. Il y en a beaucoup en Ontario, au Québec ça commence, dans l’Ouest aussi. » Et pour l’experte, même si elle n’avait « jamais imaginé » que la bibliothèque puisse être un lieu d’intervention pour les travailleurs sociaux, il est finalement assez logique de proposer ces services dans ces infrastructures-là.

Un endroit stratégique

« C’est quand même un endroit qui est stratégique. Parfois, il y a des gens qui tentent d’accéder à des services communautaires, comme les nouveaux arrivants, et le premier endroit dans lequel ils vont se rendre c’est la bibliothèque.

« C’est un point de rencontre connu de la majorité des gens. Ça peut être un endroit intéressant pour faire de la sensibilisation. Mais c’est clair que ces services répondent à un besoin de connecter avec des gens qui ont des difficultés à accéder aux autres services sociaux. » Une autre partie de la réponse, c’est qu’il semble parfaitement sensé de mettre en place des services sociaux au plus près des populations visées, comme les personnes en itinérance.

Mais Marie-Pier Rivest souligne un autre aspect intéressant. « Des fois, les gens vont peut-être avoir peur de se rendre à d’autres services qui sont vraiment affichés comme service social par peur de se voir apposer une étiquette. Aller à la bibliothèque ça ne veut pas forcément dire que tu y vas pour des raisons de santé mentale ou d’itinérance. Alors, c’est aussi un lieu moins stigmatisant pour aller chercher de l’aide. »

La question de la sécurité

Le conseiller municipal de Charleswood-Tuxedo, Evan Duncan, avait exprimé sa volonté de voir ces services relocalisés ailleurs. L’une des raisons invoquées était celle de la sécurité des usagers de la bibliothèque. À titre d’information, la Ville publiait en février son rapport trimestriel sur la fréquentation et le nombre d’incidents dans les bibliothèques. Entre octobre et décembre 2023, 187 incidents ont été rapportés à la bibliothèque Millénaire.

Pour Marie-Pier Rivest l’installation des services n’est en rien responsable des incidents qui peuvent survenir. « Il y avait des personnes en situation d’itinérance, des personnes avec différents types de besoins et d’enjeux qui fréquentaient la bibliothèque avant même qu’on y trouve des travailleurs sociaux. »

Sans nécessairement faire allusion aux incidents et aux questions de sécurité, il est légitime de se demander si services sociaux et bibliothèque ne gagneraient pas à être séparés.

Pour la professeure, il y a une compatibilité entre la bibliothèque et le monde du travail social. La coexistence des deux peut même s’avérer bénéfique à condition que la fonction première de la bibliothèque ne soit pas « dénaturée ».

« Il faut se demander ce que le travail social peut apporter dans les limites des bibliothèques. N’oublions pas que les travailleurs sociaux peuvent aussi soutenir les employés de bibliothèque. Par exemple, soutenir les employés qui ont vécu des incidents, les former à certaines capacités de communication pour aider à la désescalade de certaines situations. » Une cohabitation est donc possible, même si elle « conteste un peu les frontières de la bibliothèque ».