C’est le premier pays à inscrire explicitement ce droit dans sa constitution. Au Canada, sans être une loi, l’avortement est décriminalisé depuis 1988. Cependant, la véritable question se trouve dans l’accessibilité de cette procédure médicale.

Au Canada, c’est l’arrêt R. c. Morgentaler rendu par la Cour suprême le 18 janvier 1988 qui a permis de décriminaliser l’avortement. Après cela, quelques gouvernements ont tenté d’introduire des lois pour l’interdire de nouveau, tous infructueux.

Après le renversement, en 2022, de l’arrêt Roe c. Wade par la Cour suprême des États-Unis, plusieurs pays ont pris les devants pour protéger le droit à l’avortement. C’est le cas de la France, qui le 4 mars 2024 a inscrit dans sa constitution la liberté de recourir à l’avortement. Au Canada, cette discussion a également eu lieu. Pour Frédérique Chabot, directrice générale intérimaire d’Action Canada, ce n’est pas l’enjeu. « Avoir le droit de recourir à l’avortement n’inclut pas le droit d’y avoir accès. »

Le Canada protège le droit à l’avortement

Elle tient à souligner qu’actuellement le Canada est un état où le droit à l’avortement est le mieux protégé. « Au Canada, après le renversement de Roe c. Wade, il y a eu beaucoup d’appels du public pour protéger le droit à l’avortement grâce à une loi. Nous, à Action Canada, on souligne que ce serait une erreur de changer notre paysage politique en ce qui concerne l’avortement. En effet, le Canada est l’étalon-or pour ce qui est de la protection de l’avortement. Parce que c’est véritablement le seul pays qui le traite comme un véritable soin de santé. »

Elle donne d’ailleurs plus de contexte autour de ce qui a mené à le traiter comme un véritable soin de santé. « Quand le Canada a décriminalisé l’avortement en 1988 grâce à un jugement de la Cour suprême. Le gouvernement a voulu introduire une loi en disant quand l’avortement serait disponible, sous quelles circonstances et jusqu’à quel point dans la grossesse. Cette loi n’a jamais passé le Sénat.

« Ces circonstances ont donc amené à faire tomber toutes les restrictions du Code criminel et aucune loi n’est entrée en vigueur. L’avortement est donc devenu une procédure médicale qui n’est nullement touchée par des restrictions dictées politiquement. C’est une procédure médicale comme une autre et elle est gérée sous la Loi canadienne de la santé qui dicte les standards. Le Canada est donc la seule place au monde où on peut dire que c’est une procédure médicale comme une autre puisque l’avortement est traité comme tel. »

Des obstacles encore présents

Pour autant, cela ne signifie pas que l’avortement ne connaît aucun obstacle, Frédérique Chabot revient sur cette notion d’accès. « Il y a peu de garanties pour l’accès à l’avortement outre le fait que la Loi devrait en garantir l’accès équitable à travers le pays. Mais il y a encore peu d’hôpitaux qui inscrivent cette pratique dans leurs services. Ce n’est malheureusement pas considéré comme la procédure médicale commune que c’est. Je rappelle qu’une personne, qui peut être enceinte, sur trois, subira un avortement dans sa vie.

« Certaines provinces n’ont qu’un ou deux points de services pour toute une province. Alors que, par exemple, le Québec possède plus de la moitié, des points de services s’y trouvent. Cette Province a priorisé l’accès à l’avortement. »

Au Manitoba, il n’y a que deux points de services pour l’avortement. Les deux se trouvent à Winnipeg.

C’est le premier pays à inscrire explicitement ce droit dans sa constitution. Au Canada, sans être une loi, l’avortement est décriminalisé depuis 1988. Cependant, la véritable question se trouve dans l’accessibilité de cette procédure médicale.

Des conséquences

Ne pas avoir accès à des soins de santé tels que l’avortement peut avoir plusieurs conséquences sur la santé des personnes. Frédérique Chabot fait le parallèle avec les gens qui sont en attente de procédure médicale depuis plusieurs mois. « Les gens ont l’expérience depuis quelques années sur ce que ça signifie d’être en attente de services médicaux quand ils sont urgents. Certains peuvent très bien imaginer la détresse que cela peut créer. Avec l’avortement, il faut l’associer à la capacité de contrôler son avenir, à disposer pleinement de son corps, ce sont des questions profondes. C’est aussi pouvoir choisir avec qui et quand on décide de fonder une famille.

« Quand on n’a pas accès à l’avortement, les conséquences peuvent être très graves. Il y a une étude, The Turnaway Study, qui regarde sur une période de dix ans les impacts de s’être fait refuser un avortement. Une grande partie qui n’a pas pu avoir accès se retrouve ensuite sous le seuil de la pauvreté. Les enfants de ces familles sont plus enclins à souffrir des conséquences de la pauvreté, il y a aussi plus de violence dans ces familles, les personnes sont plus longtemps prises dans des relations abusives. Il y a des conséquences sur la santé, le bien-être des femmes, sur le niveau d’éducation, sur la capacité d’être employée de manière constante. C’est tout un écosystème qui est impacté par cette question d’accessibilité. »

La pilule abortive sous la loupe de la Cour suprême américaine

Depuis le renversement de l’arrêt Roe c. Wade, plusieurs états américains ont imposé des lois très strictes en matière d’avortement. Par exemple en Alabama, dans l’Arkansas, l’Arizona l’Idaho, le Kentucky, la Louisiane, le Mississippi, le Missouri, l’Oklahoma, le Dakota du Sud, le Tennessee, le Texas, la Virginie-Occidentale et le Wisconsin, l’avortement est interdit, sans exception, même en cas de viol ou d’inceste.

En décembre 2023, des militants anti-choix ont saisi la Cour suprême américaine au sujet de la question de la pilule abortive. Frédérique Chabot détaille. « Une chose qu’on surveille, en ce moment aux États-Unis, des militants anti-choix ont mis un cas devant la Cour suprême pour faire décertifier la mifepristone, la pilule abortive. Elle a été certifiée il y a plus de 22 ans par la FDA. Il y a des groupes anti-choix qui veulent renverser cette certification. Avec les juges de la Cour suprême actuels, c’est quelque chose de très possible.

« La pilule abortive a permis un grand progrès pour ce qui est de l’intégration de l’avortement dans les soins primaires. La pilule abortive a permis de rectifier l’accès à l’avortement dans certaines communautés qui avaient pu être négligées dans les 30 dernières années. Les gouvernements l’ont rendu gratuite dans toutes les provinces et territoires quand on a une carte d’assurance maladie. Après ce n’est pas tout le monde qui a un médecin de famille ou une infirmière praticienne. »