Une fusion qui questionne plusieurs membres sur sa faisabilité d’un point de vue juridique.
Dans la Loi sur les caisses populaires et les credit unions, la définition de caisse populaire se lit comme telle : « Personne morale qui fournit une gamme complète de services financiers : a) selon le principe du système coopératif; b) en français; c) principalement à ses membres; d) principalement sous la direction et le contrôle démocratique de particuliers de langue française qui résident au Manitoba. » [NDLR : les parties ont été mises en exergue en caractères gras par la rédaction à des fins de clarté pour la suite de l’article]
Contrairement à la définition de credit union, il est question d’une gamme de services financiers en français et le contrôle démocratique est assuré par des particuliers de langue française.
« Toutefois, comme nous l’avons communiqué pendant ce processus, puisque cette nouvelle coopérative offrira des services en français et en anglais, nous chercherons à modifier la Loi pour clarifier les exigences d’utilisation du terme Caisse populaire afin qu’elle représente mieux l’entité nouvellement créée. »
Réal Déquier
Quelle forme prendra la nouvelle entité?
Raymond Lafond, ancien directeur général de Caisse Groupe Financier de 1984 à 1993, s’interroge sur la forme que prendra alors la nouvelle entité formée après la potentielle fusion. « À la lecture de la loi, je n’ai pas l’impression que cela prendra la forme d’une caisse populaire. Puisque dans la convention de fusion, il n’y aurait que trois administrateurs francophones de la Caisse sur 12. »
Questionné à ce sujet, Réal Déquier, président du CA de Caisse Groupe Financier, explique que « La Loi permet la fusion entre une caisse populaire et une credit union et, par conséquent, aucune modification à la loi n’est requise pour réaliser la fusion proposée. Cela dit, la loi, tel qu’elle existe aujourd’hui, nous obligera à devenir une credit union. Cela est très clairement indiqué dans la résolution sur laquelle les membres seront appelés à voter et dans la convention de fusion. »
Me Marc Marion avocat fiscaliste, spécialiste en droit des corporations, a accepté de traiter de cette question en demandant que la rédaction rappelle clairement que ses commentaires ne soient pas considérés comme un soutien à la fusion. Il estime qu’une fusion entre une caisse populaire et une credit union est bel et bien possible. « Bien que caisse populaire et credit union ont des définitions différentes dans le paragraphe 1(1) de la Loi, je crois qu’il est bel et bien possible de fusionner une caisse populaire et un credit union en un seul credit union.
La possibilité d’une fusion en un seul credit union
« En effet, à l’article 119(1) au sujet des fusions, on peut lire dans la version française : Plusieurs caisses populaires peuvent fusionner en une seule et même caisse populaire. La version anglaise de ce même paragraphe de la Loi stipule : 119(1) Two or more credit unions may amalgamate and continue as one credit union.
« Alors bien que la version française du paragraphe 119(1) utilise caisses populaires et la version anglaise utilise credit unions, il y a une clause d’interprétation au paragraphe 1(2) qui stipule :
« a) l’expression credit union, utilisée dans la version anglaise, s’entend aussi, à moins d’indication contraire du contexte, d’une caisse populaire ;
b) l’expression caisse populaire, utilisée dans la version française, s’entend aussi, à moins d’indication contraire du contexte, d’un credit union. »
« Donc, le mot caisse populaire utilisée dans la version française du paragraphe 119(1) comprend aussi un credit union et vice versa dans la version anglaise, qui veut dire qu’une caisse populaire ET un credit union peuvent fusionner en une seule et même caisse populaire ou une seule et même credit union. »
Un changement dans la Loi
Selon cette même loi, le choix aurait pu être fait de devenir une caisse populaire. Mais il semble que ce n’est pas le choix qui a été suivi. Raymond Lafond affirme que les membres n’ont pas été informés de ce changement de statut.
Réal Déquier, quant à lui, se défend en soulignant qu’ « en novembre 2023, les trois partenaires ont commencé par explorer la possibilité d’une fusion. L’objectif au début était d’explorer la question avec les membres et d’avoir leurs rétroactions. Aussi, pendant ce temps, nous sommes passés par une phase de diligence raisonnable qui a été suivie d’une étude de cas. Beaucoup de l’information pertinente dans la documentation reliée à la fusion a été partagée avec les membres pendant ce processus. Une fois ces étapes franchies, la documentation finale telle que la convention de fusion a dû être finalisée et approuvée par les conseils d’administration des trois entités avant d’être présentée aux membres. La convention de fusion a été signée le 16 mai et est maintenant disponible. »
Pour autant, Caisse Groupe Financier cherche tout de même à clarifier un pan de la Loi. Réal Déquier précise : « Toutefois, comme nous l’avons communiqué pendant ce processus, puisque cette nouvelle coopérative offrira des services en français et en anglais, nous chercherons à modifier la Loi pour clarifier les exigences d’utilisation du terme Caisse populaire afin qu’elle représente mieux l’entité nouvellement créée. »
« Je me battrais toujours pour la francophonie manitobaine, Glen Simard aussi tout comme Wab Kinew. Le NPD se battra toujours pour les droits des francophones. »
Robert Loiselle
Le rôle du gouvernement provincial
Un changement à la Loi demanderait aussi l’implication du gouvernement provincial dans le dossier. Là encore, Raymond Lafond émet quelques réserves. « On nous a répondu que si le vote est positif, le gouvernement n’aura pas de problème à changer la Loi.
« Je ne suis pas convaincu qu’un membre du gouvernement comme Robert Loiselle dont les parents se sont battus pour la francophonie va accepter de changer la Loi pour la perte de droits pour les francophones. Même chose pour Glen Simard. »
Questionné à ce sujet, Robert Loiselle, député de Saint-Boniface, a fait savoir que : « Je me battrais toujours pour la francophonie manitobaine, Glen Simard aussi tout comme Wab Kinew. Le NPD se battra toujours pour les droits des francophones. Je ne voudrais jamais que les services en français soient à risque que ce soit dans une caisse populaire de leur propre réseau ou d’un réseau plus large. Mais en fin de compte, ce sont aux membres de la Caisse Groupe Financier, de Westoba Credit Union et d’Assiniboine Credit Union de décider ce qu’ils veulent faire de leur argent ».
Politique de services en français
Raymond Lafond trouve aussi assez ironique le fait que des francophones demanderaient la réduction de leurs droits au gouvernement provincial. « L’ironie à mon avis dans cette histoire est que nous nous sommes débattus pour avoir une division scolaire francophone, une université francophone, depuis 1937, nous avons notre caisse populaire en français et on va la laisser aller. On va demander au gouvernement de nous retirer des droits. Quelle ironie! »
Du côté de Caisse Groupe Financier, une politique de services en français a été proposée. (Retrouvez notre article en page 7 sur la question). D’après les informations fournies par Caisse Groupe Financier, sur les 35 000 membres, environ 60 % sont des francophones.
Somme toute, Raymond Lafond regrette un possible écart générationnel dans les luttes pour les droits linguistiques des francophones. « Quand je regarde le CA, je vois Réal Déquier, qui a été commissaire à la DSFM, il travaille pour Patrimoine canadien, je vois Patrick Fortier, qui a aussi été commissaire à la DSFM. Je me serais attendu que ces gens-là soient intransigeants avec l’aspect francophone. Donc, je me pose la question : est-ce que les jeunes de moins de 50 ans sont moins sensibilisés à nos droits? Ont-ils l’assurance que les droits pour les francophones seront toujours là et qu’ils vont aller à s’agrandissant? Moi, je ne suis pas convaincu de ça. »
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Caisse Groupe Financier : la SFM préoccupée et sur ses gardes
Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté