Charles Bourgeois, spécialiste de l’impact de la technologie sur l’apprentissage, passe au travers des commentaires des élèves.
Perplexe. C’est peut-être le mot qui pourrait mieux résumer l’avis des quatre élèves que La Liberté a interrogés sur l’interdiction du cellulaire à l’école. Pour Charles Bourgeois, chargé de cours à Université de Sherbrooke, cela demeure compréhensible tant les mesures sont encore récentes. Pour le doctorant en éducation, cette interdiction s’explique par plusieurs bonnes raisons. Au premier rang : le cellulaire comme outil ultime de distraction.
« C’est assez bien documenté, c’est l’outil numérique le plus distrayant quand ça vient à l’apprentissage. Particulièrement à propos de l’acquisition de nouvelles informations. Dans ce cas-là, de la mémorisation et de la concentration sont nécessitées, ce qui ne fonctionne pas avec l’utilisation du téléphone. »
Le lien physique avec nos cellulaires
Charles Bourgeois va plus loin et remet même en question la présence physique d’un téléphone pendant une phase de travail en s’appuyant notamment sur les conclusions d’une étude parue en 2017 dans la revue américaine Journal of the Association for Consumer Research. Dans Brain Drain: The Mere Presence of One’s Own Smartphone Reduces Available Cognitive Capacity, les auteurs ont conclu, en résumé, que « la simple présence de ces appareils réduit la capacité cognitive disponible ».
« Même s’il est éteint, même si l’on ne reçoit pas de notification, le fait même que l’appareil soit dans notre champ de vision, il va nous distraire. On est tellement habitué à l’utiliser pour tout faire que cela nous fait penser à tout ce que l’on pourrait faire avec si on l’avait entre les mains. Aussi, ces chercheurs ont montré donc que c’est mieux si l’on ne le voit pas et c’est encore mieux s’il est dans une autre pièce. », ajoute Charles Bourgeois.
Si les élèves sont bien sûr directement visés par cette interdiction, elle pourrait aussi servir à remettre en question nos utilisations à tous des cellulaires. En effet comme le dit Ines Katney, élève en 12e année, « les adultes ont les mêmes habitudes que nous avec leurs téléphones et personne n’en parle ».
Charles Bourgeois confirme et aimerait plus de discussions et de jugement critique autour du téléphone et du fait de l’avoir.
« C’est une question de société. Il y a par ailleurs un concept appelé la technoférence. C’est l’interférence créée par le cellulaire en contexte familial. L’enfant ou l’adolescent ne va pas voir si son parent utilise son téléphone pour du travail par exemple. Ce qu’il voit, c’est qu’il est sur son téléphone. On n’applique sûrement pas assez les comportements qu’on prêche. »
Cellulaire contre ordinateur
Les jeunes interrogés ont choisi leur champion : le cellulaire est le grand vainqueur de son duel face à l’ordinateur, devenu trop long et peu pratique. Si dans les faits, l’ordinateur peut tout à fait encore faire tout ce que fait un cellulaire intelligent, il semble être moins privilégié par les élèves pour les études. « Pour eux, le cellulaire peut représenter un sentiment de sécurité et de familiarité que l’ordinateur n’a pas tout le temps. Le cellulaire n’a pas non plus besoin d’une grande compétence numérique pour s’en servir, au contraire, d’un ordinateur qui, avec certains de ses logiciels, nécessite peut-être des compétences techniques plus développées. »
À la recherche de la concentration perdue
Charles Bourgeois re-marque aussi que tout ce travail d’éducation et de développement de l’esprit critique doit être supervisé par les enseignants. Des éléments qui se rajoutent à leur assiette déjà chargée. Puis, comme le souligne Charles Bourgeois, la plupart des enseignants ne sont pas non plus formés aux enjeux numériques.
Luttant avec la distraction au bout des doigts, les enseignants ont peut-être besoin d’adapter leurs cours à cette nouvelle réalité. Comme le dit l’élève Camille Saltel-Allard, les élèves aimeraient peut-être des leçons « plus attrayantes et dynamiques » pour éviter de penser à ce qu’ils pourraient faire sur leur téléphone. « Les élèves avec les cellulaires, et pas que, sont tellement stimulés dans leur environnement que de maintenir son attention pendant longtemps, ce n’est pas quelque chose qui se fait naturellement. C’est un muscle, il faut pratiquer. Les enseignants peuvent donc penser à de nouvelles stratégies pour garder leur attention », mentionne Charles Bourgeois.
Apprendre dans le calme
Enfin, pour cette recherche de la concentration, le besoin d’écouter de la musique, et donc d’utiliser son téléphone, a été mis de l’avant par l’une des élèves interrogées. À ce sujet, des études (1, 2, 3) ont testé plusieurs hypothèses : travailler sans ou avec musique, avec une intensité faible ou forte, selon le type de la musique, avec des paroles ou non. De manière générale, les conclusions semblent dire que les personnes testées apprenaient mieux sans musique. À noter que d’autres résultats ont aussi montré que la musique d’ambiance peut « avoir un impact positif sur les performances cognitives et contribuer à améliorer les expériences d’apprentissage des étudiants. »
Charles Bourgeois, qui travaille spécifiquement l’apprentissage et le numérique auprès des adolescents et des jeunes adultes, y voit plutôt là le besoin d’isolement. « Ça peut être aussi lié, par manque de certaines ressources, à des classes surchargées. Ça fait du bruit et pour la concentration c’est un problème. L’aspect musique me parle moins, mais il est vrai que le besoin de s’isoler pour éviter les distractions est aussi un phénomène bien documenté. »
(3) The Impact of Listening to Music on Cognitive Performance.