Une façon de la remercier pour tout son parcours destiné vers un objectif clair : faire avancer le fait français.

Après la Médaille du jubilé d’or de la reine Élisabeth II en 2002, l’Ordre du Canada en 2022, c’est le Manitoba qui vous célèbre avec cette nomination. Que ressentez-vous?

C’est un honneur tout à fait spécial. Le Manitoba, c’est chez moi. C’est là où je suis née, où j’ai grandi et où je vis encore présentement. Je suis une Manitobaine, je suis une Franco-Manitobaine.

Mme Chaput, dans votre réponse, vous avez précisé Franco-Manitobaine. Ce choix dans les mots n’est pas le fruit du hasard. Vous êtes née en 1942, vous avez grandi à Sainte-Anne et votre vie se passait en français…

Je suis née et j’ai grandi dans une famille où le français était ce qui se parlait, partout autour de moi. Que ce soit du côté de mon père qui est un Chaput ou de ma mère qui est une Charrière. Partout où on allait, c’était le français.

Je n’avais jamais questionné ces choses-là : on parlait français, on apprenait l’anglais et ceux qui étaient privilégiés apprenaient d’autres langues. Pour moi, c’était ça la vie.

Mais, plus tard, quand vos enfants ont grandi, le fait français a rencontré des obstacles. Et d’une évidence, il est devenu le combat de votre vie.

Parlez-nous du moment précis où vous avez senti que la question franco-phone était en train de vous échapper…

Mes filles étaient à l’école à Sainte-Anne, et je suis allée à la bibliothèque. J’avais su que l’établissement avait reçu du financement pour acheter des livres en français. J’étais très contente! Je suis allée voir la bibliothécaire qui m’a dit : Maria, cet argent a été remis à la division scolaire. Et la division scolaire est anglophone…

C’est là que j’ai compris l’ampleur de la chose. Quand j’ai vu qu’on ne pouvait pas avoir de livre en français avec l’argent qu’on avait obtenu, ça a déclenché quelque chose chez moi.

Vous avez continué à vous battre pour vos droits, vous avez même participé à des manifestations. Cela a notamment abouti à la création de la Division scolaire franco-manitobaine au début des années 1990. Mais, la lutte ne s’est pas arrêtée là. Vous avez rejoint des comités qui vous ont ouvert au monde de la politique petit à petit…

Quand j’ai commencé à travailler, je n’avais pas d’éducation formelle, mais j’avais un paquet d’expérience.

Je faisais, à contrat, du travail de planification stratégique. Et, j’ai été embauchée par M. Duhamel qui était ministre fédéral libéral. Il a appris à me connaître et m’a fait nommer sur le comité manitobain qui recevait les candidatures des avocats intéressés à aller à la Cour suprême.

M. Duhamel m’a dit : j’ai besoin de quelqu’un de la communauté dans ce comité, et je veux que tu sois là. Ça a été terriblement difficile parce que la plupart ne prenaient pas en considération l’importance de parler français. Il fallait se battre, je ne lâchais pas, je n’ai jamais lâché et je pense que certains m’ont détestée à cause de ça!

Par la suite, le ministre Ronald Duhamel vous a donc introduit en politique et vous a fait rencontrer le premier ministre Jean Chrétien qui vous a nommée sénatrice en 2002.

Une fois au Sénat, avez-vous envisagé — ou même décliné — des postes de direction encore plus élevés?

J’ai accepté le Sénat parce que là je me suis dit : tu vas pouvoir faire avancer le dossier de la francophonie canadienne et manitobaine. Mais, oui, je dois dire que j’ai refusé des postes au Sénat, des postes de la direction plus élevés que sénateur.

Et je les ai refusés à deux présidents du Sénat, l’un après l’autre. La première fois, le président m’a dit : vous savez que vous n’avez pas le droit de refuser au président du Sénat? Il était très gentil et chic, mais j’ai dit : Je suis touchée de votre confiance en moi, mais je suis venue ici pour le dossier de la francophonie canadienne, plus précisément les francophones du Manitoba.

Et donc, ce que j’ai demandé à la place, c’était la présidence du Comité permanent sur les langues officielles au Sénat, dans le cas où c’était possible.

Je l’ai finalement eu alors que des gens avec plus de longévité que moi attendaient ça depuis plus longtemps. Voilà, je poussais, j’ouvrais des barrières, sans cesse et je construisais des ponts.

Mme Chaput, cette manière de faire vous a ouvert des portes et vous avez eu plusieurs alliés le long de votre parcours, même hors de votre parti. Votre travail a payé et à peu près dix ans après votre départ du Sénat la modernisation de la Loi sur les langues officielles a reçu la sanction royale.

Mais la politique est un milieu difficile, vous avez été confrontée à la partisanerie qui vous a notamment empêché de célébrer une autre distinction…

J’avais plusieurs alliés sénateurs conservateurs, ils me recevaient, ils venaient dans mon bureau, on discutait. Mais une fois arrivés au Sénat, ils tenaient la ligne du parti et votaient contre. C’est ça la politique.

Je me rappelle être devenue proche avec l’ambassadeur de France au Canada, il était très intéressé par la francophonie à travers le Canada.

Un jour, il a décidé de me remettre la Légion d’honneur. Mais dans ces années, le Parti conservateur de Stephen Harper était au pouvoir et n’appuyait pas ma candidature. On m’a alors dit que l’ambassadeur tenait tout de même à me la remettre.

Alors on me l’a remise en 2011, mais comme le Canada n’appuyait pas, ça n’a pas pu se faire officiellement avec du public.

Ça a donc été fait à Saint-Boniface près de la tombe de Louis Riel, c’est là que j’ai reçu la Légion d’honneur.

Il y a quelques jours, le premier ministre Mark Carney a dévoilé son Cabinet de ministres. Sur les 28 ministres qui forment ce gouvernement, 9 d’entre eux ont été élus pour la première fois et sont devenus ministres.

Avez-vous un conseil à donner à quelqu’un qui se lance en politique?

Selon mon expérience, que ce soit en politique ou pour toute autre responsabilité, je dis qu’il faut rester fidèle à soi-même. Car si en cours de route vous abandonnez ça, ça va vous retomber sur la tête, vous ne serez pas heureux.

Ils ont travaillé avec Maria Chaput

Si pendant toutes ces années, Maria Chaput a pu faire des avancées, c’est aussi grâce au soutien et l’appui d’autres collaborateurs.

Me Mathieu Stanton a été conseiller au bureau de la sénatrice Maria Chaput entre 2008 et 2011. Travailler avec la sénatrice a été très formateur. « L’importance de poser les bonnes questions, de viser haut et de ne jamais perdre de vue l’impact de chaque geste pour la communauté. Voilà un aperçu de ce que Mme Chaput m’a transmis. 

« En tant que jeune avocat au sein de son bureau parlementaire, j’ai été témoin de ses efforts remarquables pour améliorer l’offre de services en français au Canada. Ne reculant devant rien et toujours animée d’un esprit de collaboration, Mme Chaput a mené cette mission à bien. Voilà une avancée qui compte pour les gens. »

L’avocat Me Mark Power, également défenseur des droits linguistiques, a aussi travaillé à un point avec Maria Chaput. « Nous avons tenté d’aider le statut du français au palier fédéral », rappelle-t-il.

« Alors que M. Harper était au pouvoir à Ottawa, les questions de l’heure à l’époque n’étaient pas vraiment celles con-cernant le français. Et bien, Maria Chaput, elle, elle en parlait. »

Selon Me Mark Power, Maria Chaput a mis de l’avant des propositions concrètes d’amélioration sur le sujet de francophonie. « Par exemple, Mme Chaput a été la première à dire que le gouvernement du Canada devrait au moins offrir des services français là où il existe des écoles de langue française. Plusieurs de ses idées novatrices, modernisantes, logiques, stratégiques ont vu la lumière du jour et se retrouvent dans un règlement modifié, surtout grâce à elle.

« Maria Chaput a servi d’étincelle », remarque Me Mark Power.