Inès Lombardo

La mention de la Charte de la langue française du Québec et la place des langues autochtones ont mené les sénateurs à poser des questions à maintes reprises lundi soir, lors de l’étude du projet de loi C-13 en comité sénatorial.

Deux sénateurs anglo-québécois, Marc Gold et Judith Seidman, ont d’entrée de jeu montré leur désaccord quant aux références à la Charte incluses dans le projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles.

L’organisme de représentation des communautés anglophones du Québec, le Quebec Community Groups Network (QCGN), a aussi présenté ses arguments pour amener les sénateurs à retirer cette mention.

Ce travail avait été amorcé sans succès à la Chambre des Communes, par les députés québécois anglophones Anthony Housefather et Marc Garneau, qui a démissionné de son poste de député depuis.

Dernière tentative des Québécois anglophones de modifier C-13

« Pourquoi vous compliquez cette loi? », a asséné la sénatrice Judith Seidman à la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor, invitée à témoigner.

Pour la sénatrice anglo-québécoise, l’utilisation de la clause dérogatoire sera enchâssée dans C-13 si la référence à la Charte québécoise y demeure inscrite. La sénatrice a aussi déploré que le Québec soit la seule province citée dans le texte.

« Je ne suis pas d’accord avec votre interprétation, avec tout le respect que je vous dois, s’est défendue la ministre. [Cette mention] est juste à titre descriptif. N’allez pas croire que je ne suis pas sensible à la question [des droits linguistiques des Québécois anglophones]. La loi 96 et C-13 ne sont pas la même loi. Je pense que l’anxiété n’est pas face à C-13, mais par rapport à la loi provinciale. »

Ginette Petitpas Taylor a ajouté que la partie VII de la future Loi sur les langues officielles crée plus de possibilités, « car le fédéral devra analyser les décisions prises pour les communautés linguistiques minoritaires ».

Interrogée à la suite de son témoignage, la ministre Petitpas Taylor a assuré à Francopresse qu’elle ne craignait pas d’obstruction de la part des sénateurs plus frileux envers C-13.

« Je respecte le travail de tous les sénateurs. Les gens qui ont posé des questions […] veulent faire l’étude appropriée, mais je pense qu’ils attendent aussi avec impatience [l’adoption du projet de loi]. »

Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge, qui comparaissait également devant le comité sénatorial, a lui aussi défendu le projet de loi C-13, notamment sur le traitement asymétrique des deux langues dans le texte : « C-13 comprend encore des éléments d’asymétrie, mais certains autres aident à l’équilibrer, notamment la reconnaissance des différences des communautés linguistiques. »

Pour l’organisme QCGN, la Loi sur les langues officielles est une « bouée de sauvetage pour les minorités anglophones du Québec ». Selon sa présidente, Eva Ludvig, les anglophones du Québec se sont tournés vers le fédéral après avoir subi des restrictions de leurs droits à cause de la loi 96.

« On compte sur le Comité pour protéger les droits de nos communautés », a-t-elle insisté. QCGN veut en effet voir le projet de loi C-13 retourné en troisième lecture au Sénat avec des amendements qui supprimeraient la référence à la Charte de la langue française.

Un « danger » pour les minorités francophones hors Québec

Par ailleurs, Eva Ludvig a mis en garde les communautés francophones en situation minoritaire. Selon elle, le retrait des mentions à la Charte n’aurait aucune incidence pour les francophones en situation minoritaire, mais il y aurait un « danger de les garder », notamment si d’autres provinces souhaitent se doter de « restrictions envers leurs minorités linguistiques ».

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), ainsi que la ministre Petitpas Taylor, qui veulent que le projet de loi C-13 reçoive la sanction royale avant la fin de session parlementaire, le 23 juin, se sont attelées à éteindre cette étincelle.

« Le but est de reconnaitre que la réalité des langues est différente sur le terrain. Citer les autres régimes linguistiques permet au gouvernement fédéral d’en faire plus dans certaines régions où il n’y aurait aucune loi linguistique ou aucun appui des gouvernements provinciaux », défend Alain Dupuis, directeur général de la FCFA.

Ce dernier a insisté, un peu tendu : « On atteint l’équité quand on reconnait les différences de statut d’usage des langues un peu partout sur le territoire. »

La ministre Petitpas Taylor a abondé dans le même sens : « On ne cause pas de précédent avec C-13, on fait la description de la loi qui existe au Québec, au même titre que la spécificité du Nouveau-Brunswick et des autres provinces. »

Tensions entre communautés ravivées

Alain Dupuis et Liane Roy, présidente de la FCFA, ne voient pas de division entre les deux communautés. « On a consulté des constitutionnalistes, personne ne perd de droits avec ce projet de loi. Les mentions des régimes linguistiques, c’est un élément de contexte. Ils n’enlèvent les droits d’aucune des deux communautés en situation minoritaire », ont-ils martelé.

Pourtant, Eva Ludvig a souligné que C-13 ravivait de « vieux mythes » et de « vieux récits entre anglophones et francophones ».

« Ces mythes sont monnaie courante au Parlement et dans l’espace public, a-t-elle déploré. Le chemin que nous avons parcouru depuis 2019 semble loin, depuis notre rapprochement. »

De son côté, la ministre Petitpas Taylor assure que « ce n’est pas une question de division. On veut appuyer toutes nos communautés de langue officielle en situation minoritaire qui incluent les Québécois d’expression anglaise. Leur langue n’est pas menacée, mais ils font partie des CLOSM ».

Quid de la place des langues autochtones?

La sénatrice franco-ontarienne Bernadette Clément a adressé la question de la place des langues autochtones dans C-13 à tous les témoins.

Si les représentants de QCGN, qui représentaient les Anglo-Québécois lundi, ont assuré leur soutien aux Autochtones, ils ne veulent pas que ça réduise « leurs possibilités ».

De leur côté, la FCFA, le commissaire aux langues officielles et la ministre Petitpas Taylor se sont dits sensibles à cette question, tout en soulignant que C-13 n’était pas la meilleure occasion d’en parler.

« Quand la Loi sur les langues autochtones est sortie, nous avons manifesté notre appui. Mais on ne pense pas que [C-13] soit le bon véhicule », a expliqué Liane Roy.

Selon la sénatrice Clément, il y a moins de tensions que « d’impatience » : « C’est le ton que j’ai senti ce soir. Mais on va avoir des discussions difficiles après l’adoption de la loi [en rapport aux langues autochtones]. »

L’étude du projet de loi article par article débute lundi prochain, deux semaines avant la fin de la session parlementaire.