Éditorial par Jean-Pierre Dubé

LA LIBERTÉ DU 16 AU 22 JANVIER 2013

 

Commençons avec Abraham, au 19e siècle avant J.-C. Dans son vieil âge, le patriarche reçut pour sa foi la promesse d’une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel. Il est reconnu comme l’ancêtre des peuples hébreux et arabes.

Continuons avec François Gladu, au 19e siècle après J.-C. Quand sous les étoiles des plaines, il s’accoupla avec une Indienne, il n’imaginait pas l’envergure de sa descendance. Le Dictionnaire des familles franco-manitobaines et métisses du généalogiste Alfred Fortier a recensé quelque 250 ancêtres Gladu dans l’Ouest. Ils ont engendré des milliers de descendants Nault, Carrière, Lagimodière, Tétrault, Gaboury et autres.

La nation métisse comprenait à l’origine environ 400 familles. Six ou sept générations plus tard, on est encore Métis, l’exogamie perpétuant le statut de sang-mêlé.

En 2006, le Canada recensait 404 000 Métis, cette population connaissant le plus haut taux de croissance. Et la tendance s’accentue étant donné qu’encore plus de Canadiens s’identifient au groupe, suite à l’Arrêt Powley de la Cour suprême (2003) précisant les qualifications nécessaires.

Le jugement de la Cour fédérale du 8 janvier 2013, s’il était confirmé en appel, ferait encore augmenter les statistiques. Surtout si la reconnaissance « comme Indiens au sens de la loi » s’accompagnait des bénéfices présentement accordés aux Premières nations. Déjà, des chefs métis espèrent « voir leurs chiffres gonfler ». Plus de membres = plus de fonds!

« Les demandeurs estiment que le refus du gouvernement fédéral de leur reconnaître le statut d’Indiens les expose à des privations et à la discrimination dans la mesure où ils n’ont pas accès aux avantages en matière de soins de santé et d’éducation dont jouissent les Indiens inscrits, ils ne peuvent exercer leurs droits ancestraux de chasser, de piéger et de pêcher et ils sont privés du droit de négocier avec le gouvernement fédéral sur les questions relatives aux droits ancestraux. »

Cet extrait du jugement devrait faire frémir les Canadiens. Car la prochaine bataille juridique consistera à confirmer l’obligation fiduciaire d’Ottawa envers ces nouveaux autochtones. La cause mettra-t-elle fin à de nombreuses années de souffrance? N’est-elle pas plutôt annonciatrice de perpétuels pleurs et grincements de dents?

Car si les Métis deviennent des Indiens, est-ce un progrès ou un recul? Les implications sont considérables : le pays aurait un million de potentiels dépendants supplémentaires, le double du nombre actuel. Les chicanes de pouvoir se multiplieront chez les Premières nations, tout comme les tiraillements entre gouvernements. Chacun devra mettre de l’eau dans son vin et tout le monde perdra des plumes, sauf les avocats.

Le statut actuel offre-t-il aux Métis le meilleur ou le pire des deux mondes? On peut comprendre les doutes de la Manitoba Metis Federation qui s’inquiète de perdre sa place, après des décennies de fanfaronnade. Et pourquoi s’assimiler aux Autochtones, perçus comme des citoyens de 3e classe?

Le jugement a été publié alors que la cheffe de la réserve d’Attawapiskat menait depuis un mois une grève de la faim. À grands déploiements médiatiques, Theresa Spence a voulu attirer l’attention sur la grande pauvreté chez elle. Ce qu’on découvre, c’est une corruption rampante.

Les conditions de vie épouvantables des 1 500 habitants d’Attawapiskat pourraient être la conséquence d’une gestion épouvantable. La bande a reçu 90 millions $ en fonds fédéraux depuis 2006 sans rendre de comptes. Il me semble que Mère Theresa et son conjoint gestionnaire vivent somptueusement avec des revenus annuels de 350 000 $ non taxés. Le jeûne, c’est du théâtre.

On apprend que 157 des 615 bandes sont actuellement sous supervision fédérale. Pointe de l’iceberg? L’alerte a été sonnée dans 31 rapports en dix ans de l’ancienne vérificatrice générale Sheila Fraser.

L’aspect positif de ces développements, c’est que l’abcès pourrait crever. Doit-on accepter une hausse du nombre de dépendants nationaux et l’essor des réserves et ghettos? La délivrance des Métis et Autochtones ne doit-elle pas s’amorcer chez eux? Le temps est-il venu de moderniser le cadre législatif?

Si on veut un peuple debout, engageons-nous dans la voie de l’inclusion et de la responsabilisation. Les solutions ne tomberont pas des étoiles.